L'Utile
Naufrage
Pendant la guerre de Sept Ans, qui oppose la France à l’Angleterre entre 1756 et 1763, la Compagnie française des Indes orientales arme deux flûtes, l’Adour et l’Utile, à Bayonne. Ces deux navires quittent le port le 17 novembre 1760. Après une traversée sans incident de cinq mois, ils atteignent l’île de France (aujourd’hui l’île Maurice). Une fois les équipages reposés, l’Utile est envoyé à Foulepointe, sur la côte nord-est de Madagascar, pour y acheter des vivres nécessaires à la colonie.
Craignant un blocus de l’île de France par la Royal Navy, le gouverneur Desforges Boucher donne des instructions strictes au capitaine de l’Utile, Jean Lafargue : il lui interdit formellement d’acheter des esclaves afin de ne pas accroître le nombre de bouches à nourrir. Cependant, Lafargue choisit de désobéir et acquiert 160 esclaves malgaches, hommes et femmes. Pour cacher sa fraude, il projette de les débarquer discrètement sur l’île Rodrigues, située à l’est de l’île de France, avant de les ramener progressivement en petits groupes.
Mais une erreur de navigation bouleverse ses plans. Dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, l’Utile s’échoue sur l’île de Sable (aujourd’hui appelée île Tromelin), située à plus de 500 kilomètres au nord-ouest de l’île de France. Le navire résiste quelques heures avant de se briser sous la force des vagues. Certains membres de l’équipage parviennent à rejoindre la côte en nageant, aidés par des débris flottants, tandis qu’un système de va-et-vient rudimentaire est mis en place pour évacuer les autres.
Le bilan est tragique : dix-huit marins se noient, et près de soixante-dix esclaves malgaches périssent. Enfermés dans la cale dont les panneaux avaient été cloués par peur d’une révolte, ils n’ont pas été libérés à temps. Seuls ceux qui parviennent à s’échapper après la dislocation du navire survivent.
À l’aube, les rescapés – marins et esclaves – découvrent l’île de Sable : un îlot aride d’à peine 1 km², qui culmine à 8 mètres au-dessus du niveau de la mer et ne dispose que d’une maigre végétation. Ils établissent un camp rudimentaire en utilisant des voiles récupérées et tentent de sauver le maximum de vivres de l’épave. Un puits est creusé, fournissant une eau saumâtre mais potable.
Rapidement, les naufragés entreprennent de construire une embarcation de fortune avec les restes de l’Utile. Deux mois plus tard, le navire improvisé, baptisé Providence, quitte l’île et atteint Madagascar. Cependant, faute de place, l’équipage décide de laisser les esclaves malgaches derrière eux. Avant de partir, les marins leur laissent quelques vivres et promettent de revenir les secourir – une promesse qui ne sera tenue que bien des années plus tard.
15 ans de Survie
Frise chronologique
Le navire français L'Utile, affrété par la Compagnie française des Indes orientales, s’échoue sur un récif de l'île de Tromelin, située dans l'océan Indien. Le navire transportait illégalement environ 160 esclaves malgaches en plus de son équipage.
Après le naufrage, les 123 membres d’équipage et environ 80 esclaves malgaches survivent. Les marins construisent un radeau avec des restes de l'épave. Le capitaine et les marins partent en promettant de revenir, mais ils abandonnent les esclaves sur l'île avec quelques provisions et outils.
Malgré plusieurs tentatives, aucun secours ne revient pour sauver les esclaves restés sur l'île. Les survivants, majoritairement des femmes, développent des techniques de survie rudimentaires : ils construisent des abris avec des pierres et des débris et se nourrissent d’oiseaux, de tortues et de poissons.
Jean-Marie Briand de La Feuillée, capitaine de La Dauphine, parvient à sauver les huit derniers survivants : sept femmes et un bébé. Ils avaient vécu 15 ans sur cette île isolée.
L’île est officiellement nommée Tromelin en l’honneur du chevalier de Tromelin, commandant de La Dauphine. L’histoire commence à attirer l’attention des historiens et chercheurs.
Des missions archéologiques dirigées par les équipe du GRAN explorent l’île. Les fouilles révèlent des restes d’abris en pierre, des ustensiles fabriqués à partir de matériaux récupérés et des ossements d’oiseaux et de tortues, témoins des conditions de survie des naufragés.
L’histoire des naufragés oubliés de Tromelin est présentée dans une exposition itinérante en France, intitulée « Tromelin, l’île des esclaves oubliés ».
L’UNESCO inclut l’histoire des naufragés de Tromelin dans ses efforts pour préserver la mémoire de l’esclavage
Des chercheurs, artistes et scientifiques du monde entier, touchés par cette histoire, se sont réapproprié cette tragédie pour en extraire les connaissances et en révéler la beauté.