Tromelin – A 15 ans d’intervalle, les deux sauvetages des naufragés de l’Utile.

Tromelin – A 15 ans d’intervalle, les deux sauvetages des naufragés de l’Utile.

Sauvetage des français

Le naufrage de l’Utile en juillet 1761 sur l’île aux Sables a plongé son équipage dans une situation désespérée. Sous la direction du premier lieutenant Castellan, les survivants ont entrepris de construire un bateau en réutilisant les débris du navire échoué. Castellan a fait preuve d’un leadership exceptionnel, travaillant sans relâche malgré des conditions difficiles et des ressources limitées. En septembre, ils ont terminé un bateau de 33 pieds de quille, suffisant pour transporter les 121 membres de l’équipage, mais incapable de contenir les esclaves malgaches également présents sur l’île. Le 1er octobre, l’équipage a atteint Foulpointe, laissant les esclaves derrière eux avec une promesse de secours.

Malgré le succès du sauvetage des Français, cette promesse de revenir pour les Malgaches est restée lettre morte. Castellan, faute de moyens pour équiper un autre navire, n’a pu tenir son engagement. Les autorités de l’île de France, sous la direction du gouverneur Desforges-Boucher, ont refusé d’organiser une expédition de secours, ce qui a laissé les esclaves à leur sort. Ce premier acte de survie, bien qu’ingénieux, a été entaché par l’abandon des Malgaches, un événement qui a marqué les consciences, mais dont la portée morale a été largement minimisée à l’époque.

Le gouverneur Desforges-Boucher a catégoriquement refusé d’envoyer un navire pour secourir les esclaves malgaches, avançant des justifications logistiques et stratégiques. Cette décision a suscité une indignation croissante, mais celle-ci est restée limitée dans l’immédiat. Bernardin de Saint-Pierre, présent à l’île de France entre 1767 et 1768, a évoqué cet abandon dans ses écrits, bien que de manière prudente. Il a critiqué l’attitude des colons sans pour autant approfondir le sort des esclaves laissés sur l’île aux Sables. Ce silence relatif a été brisé plus tard par Condorcet, qui, en 1781, a dénoncé cette affaire dans ses réflexions sur l’esclavage des Noirs, mettant en lumière le mépris systémique envers les esclaves.

L’abbé Rochon a ajouté sa voix à cette dénonciation en 1791, condamnant vivement l’inaction des autorités. Son récit, détaillant l’abandon cruel des esclaves, a contribué à faire écho à la montée des idées abolitionnistes en Europe. Cependant, cette indignation est apparue bien tard, et les voix critiques ont souvent été ignorées ou atténuées dans un contexte colonial où la traite des esclaves était encore largement tolérée.

Texte manuscrit de Bernardin de Saint-Pierre.

Quatorze ans après l’abandon des Malgaches, un navire passant à proximité de l’île aux Sables a signalé la présence de survivants. En 1775, le cotre La Sauterelle a été envoyé, mais ses tentatives de sauvetage ont échoué en raison des conditions difficiles. L’un des marins envoyé à terre est resté sur l’île avec les survivants, partageant leur isolement. Malgré ces efforts, il a fallu attendre 1776 pour qu’une mission réussisse à secourir les esclaves. La corvette La Dauphine, sous les ordres de Jacques-Marie Lanuguy de Tromelin, a employé une pirogue spécialement adaptée pour surmonter les récifs dangereux. Sept femmes et un enfant de huit mois ont été sauvés après une opération menée avec précaution et succès.

À leur arrivée à Port-Louis, les rescapés ont été déclarés libres, mais ils n’ont pas été affranchis officiellement, car ils avaient été achetés en fraude. L’administration leur a offert assistance, et certaines survivantes ont été accueillies par l’intendant Maillard dans sa propre maison. Le récit de ce sauvetage a marqué un tournant symbolique, soulignant l’évolution des mentalités vis-à-vis des esclaves, bien que la reconnaissance de leur humanité restait encore limitée dans les faits.

Articles Récents

Search

Catégories