Observations effectuées pendant la fouille.
Déblayement de l’extrémité des virures : observé de nombreuses plaques de doublage en plomb débordant des virures. Les plaques de doublage de la zone PO 46 font environ « 2 palmes1 » de large, soit environ 50 cm.
Le doublage en plomb de la carène est interrompu entre les virures B18 et B19.
Limite du doublage de plomb entre les virures observé entre B23 et B 24.
Un doublage de plomb recouvre quille et bordé. Il semble s’interrompre entre les virures B 23 et B 24 soit environ 1 mètre sous le niveau du deuxième pont.
Les feuilles de doublage mesurent une cinquantaine de centimètres de large et sont assemblées avec un recouvrement d’environ 1 cm. L’analyse de ce doublage encore succincte n’a pas permis de mettre en évidence un revêtement intermédiaire.
Afin de déterminer la hauteur atteinte par le doublage de plomb ; plusieurs observations ont été réalisées et un passage creusé sous la coque. La dernière virure doublée semble être B 26 dont un fragment prélevé ne porte pas trace de doublage mais des traces de clouage caractéristiques.
Dégagement du bordé Ouest, secteur des plaques de doublage.
Analyse du doublage : cloué du haut en bas et d’arrière en avant
Première observation des plaques de doublage (dessin).
Dégagement et nettoyage des plaques de plomb du doublage, mesure des plaques de plomb. (Dessin)
Dégagement du doublage en plomb à l’Ouest de l’épave.
Mis à jour d’une plaque de doublage de grande dimension au Nord et à l’extérieur de l’épave.
Rangement des plaques de plomb
Dégagement du doublage en plomb
Mesure des plaques de doublage, croquis et relevé des plaques conservant certaines dimensions d’origine, numérotation (A 339 à A 344). Observation du doublage :
- Clouage du bord : pratiqué de 1 à 3 cm du bord de la plaque, clous tous les 3 à 4 cm, diamètre des trous de clou 8 à 10 mm.
- Clouage diagonal : clouage diagonal sous forme de bandes parallèles espacées de 7 à 8 cm (trous parfois plus gros) (Croquis)
Epaisseur du doublage de 1,5 à 2 mm.
Il semble que le bord des plaques soit plus épais. Le recouvrement rarement observé de l’ordre de 1 à 2 cm
- A 339 – 14 x 23 cm
- A 340 – 14 x 27 cm
- A 341 – 6 x 44 cm
- A 342 – 42 x 58 cm
- A 343 – 39 x 99 cm
- A 344 – 40 x 98 cm
Largeur d’environ 40 cm
Plaque de doublage constituée d’une rangée de clous de 2 à 5 cm du bord et une rangée de clous à quelques cm du bord inférieur (2 à 4 cm). Clous à tête ronde d’un diamètre de 10 mm, clou de section carrée de 4 mm de côté sous la tête ; longueur 20 mm.
Dévasage des plaques de plomb au NW, grande plaque présente
Mesure du doublage (croquis)
- Longueur conservée = 100 cm
- Largeur = 40 cm
- Recouvrement = 7 cm (décoloration observée en bordure)
- Diamètre des clous environ 5 mm
- Ecartement moyen des clous 3,4 cm
Mesure d’une nouvelle plaque de doublage
- Longueur totale = 120 cm
- Largeur totale = 39,8 cm
- Clouage haut entre 2,5 et 3,5 cm du bord et clouage bas entre 1 et 2 cm du bord.
Commentaires.
Le doublage n’a pas pu être observé sur le côté bâbord de l’épave, dans la mesure ou celui-ci se trouvait sous des charpentes qui n’ont pas été démontées. Le doublage a été observé aux deux extrémités permettant en particulier d’évaluer sa limite haute. C’est à tribord avant de l’épave que les plaques les plus importantes ont pu être dégagées. Ces plaques étaient en fait des éléments effondrés la plupart du temps froissés et très déformés, dans la mesure où la coque, compte tenu de l’inclinaison de 45 degrés sur bâbord, se trouvait être à cet endroit presque verticale.
Seules quelques plaques ont finalement été partiellement dégagées nous permettant d’évaluer les dimensions moyennes, même si en réalité comme le montre le dessin elles ne nous ont pas semblé être assemblées en respectant un standard très strict. A cet égard il faut cependant souligner que ces observations ayant été effectuée très en avant, le pincement des formes du navire implique une diminution de la longueur développée de la coque donc un nécessaire biseautage des plaques rectangulaires pour adapter le doublage aux formes de carène.
Les dimensions d’une plaque sont donc d’environ 120 cm parallèlement à l’axe du bâtiment x 40 cm perpendiculairement à celui-ci.
Si la largeur de nombreuses plaques ou fragments de plaques a pu être mesurée, se situant toujours entre 41 et 39 cm, la longueur n’a été mesurée que sur une seule plaque. La longueur totale déduite des dimensions observées dans le petit secteur relevé (Fig.2) pourrait être plus importante, en effet l’intervalle entre le bord des plaques décalées en hauteur peut atteindre 70 cm, ce qui semble correspondre à une plaque de 140 cm de long. Nous nous en tiendrons cependant à la seule longueur effectivement mesurée.
Le rapport longueur sur largeur est à peu près égal à 3. Si on cherche à relier ces dimensions aux mesures utilisées à Gênes, la longueur est très proche de 5 palmes et la largeur de 1 palme 2/3 puisque la palme (parmi) de Gênes vaut 24,77 cm.
L’épaisseur mesurée était d’environ 1,5 à 2 mm, mais les déformations, la présence de brai ou de corrosion diverses rendent cette mesure peu précise.
Les plaques sont mises en place de telle manière que dans le sens transversal, les plaques les plus basses recouvrent les plaques situées au dessus d’elles et que dans le sens longitudinal les plaques les plus en avant recouvrent celles qui se trouvent derrière elles. Deux rangées de plaques successives, dans le sens de la hauteur, sont décalées d’une demi longueur.
La quille est également doublée de plomb, les feuilles de doublage qui la recouvrent s’encastrent alors dans la râblure en même temps que la partie basse de la feuille de doublage qui couvre le galbord (Fig.3)
Le recouvrement des feuilles est d’environ 3 à 5 cm transversalement et longitudinalement.
Les plaques (chiastra) étaient clouées à l’aide de clous à tête plate et ronde (stoperoli) d’environ 10 mm de diamètre avec un corps de section carrée de 4 mm de côté sous la tête et une longueur de 20 mm.
Une ligne continue de clous espacés en moyenne de 3,4 cm est mise en place sur le pourtour de la plaque à une distance du bord allant de 2 à 4 cm et la partie centrale est fixée par des lignes de clous parallèles et obliques espacées d’environ 7 cm. Cette technique perdurera puisqu’elle sera encore utilisée lors de l’adoption du doublage des coques par des plaques de cuivre à la fin du XVIIIème siècle ou de métal jaune au XIXème siècle. Il y a donc sur le pourtour au total environ 102 clous ; au centre de la plaque les bandes obliques sont espacées de 7 cm et les clous eux-mêmes sont également espacés de 7 cm soit un total de 100 clous. Le total représente donc environ 200 clous, cependant compte tenu du recouvrement, il faut compter 150 clous par plaque : les 100 clous centraux et la moitié des clous de la périphérie soit 50 clous. Si on prend en compte les 986 plaques nécessaires au doublage (voir ci-dessous) il faut donc environ 147 000 clous pour fixer le doublage.
L’analyse métallographique du plomb du doublage a été effectuée en même temps que celle d’un boulet, d’une balle de plomb et d’un lingot de plomb2 .
Les proportions sont indiquées en 1/1000, Pb= Plomb ; Zn = Zinc ; Ag = Argent, Cu = Cuivre ; Sb = Antimoine, Ni = Nickel.
Nature | Pb | Zn | Ag | Cu | Sb | As | Sn | Cd | Ni | Te | Tl | Bi |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Plaque de doublage | 593 | 1 | 88 | 114 | 185 | 2 | 2 | 1 | 9 | 3 | 1 | 1 |
Boulet de plomb | 652 | 1 | 65 | 186 | 73 | 2 | 2 | 1 | 12 | 3 | 1 | 2 |
Balle d'arquebuse | 775 | 1 | 52 | 137 | 12 | 2 | 2 | 1 | 13 | 3 | 1 | 1 |
Lingot de plomb | 745 | 1 | 84 | 104 | 48 | 2 | 2 | 1 | 8 | 3 | 1 | 1 |
Calculons le poids d’une plaque de 1,5 mm d’épaisseur fabriquée avec l’alliage mis en évidence par l’analyse métallographique ci-dessus :
Dans la mesure où la densité moyenne correspondant à l’analyse métallographique est de 10,94 au lieu de 11,35 si la plaque avait été uniquement en plomb, on a l’heureuse surprise de constater que le poids de la plaque ainsi obtenu est pratiquement identique à celui qu’indique le document d’archive cité par L. Gatti (voir le §3.3 ci-dessous) soit 7,3 kg par plaque. On peut donc considérer que toutes les données mesurées : dimensions (longueur, largeur, épaisseur) et densité sont sans doute très proches de la réalité et qu’en outre la forte proportion d’antimoine constatée se trouve en même temps elle aussi confirmée.
On peut maintenant essayer d’évaluer le poids représenté par l’ensemble de ce doublage. La surface de carène couverte par le doublage a été calculée à partir de la restitution du plan de forme de la Lomellina effectuée par Mr. Roberto Greco et en utilisant le logiciel Autocad. On obtient une surface de 411,8 m² à plus ou moins 5 %.
Si on considère maintenant le chevauchement des plaques, bien qu’assez irrégulier et pouvant parfois atteindre 10 cm, on peut estimer que le recouvrement moyen d’une plaque par les plaques voisines est de 4 cm dans les deux sens. Les plaques voisines étant à leur tour recouvertes de la même valeur. Une plaque de 120 x 40 couvre donc effectivement une surface de 116 x 36 soit 0,4176 m². Le nombre total de plaques nécessaires pour couvrir une surface de 411,8 m² est donc 411,8 / 0,4176 = 986 plaques.
Le poids total est donc : 986 x 7,3 = 7 198 kg soit ~ 7,2 tonnes
On peut considérer que pour un navire demandant de toute manière à être lesté pour être maintenu dans ses lignes d’eau, ce poids situé à l’extérieur de la coque préserve d’autant la capacité de transport, puisque 7,2 tonnes de pierre par exemple occupent un volume d’environ 2 mètre cube, ou 1,38 tonneaux d’encombrement.
Si en définitive le doublage n’affecte qu’assez peu, en pourcentage, la capacité de transport du navire, il n’est pas inintéressant d’évaluer son incidence sur le coût de construction. Essayons donc d’évaluer le coût du doublage que je n’ai trouvé nulle part pris en compte dans l’évaluation du coût de construction d’une « nave » ; il est vrai que les exemples sont rares.
Concernant le plomb une référence nous est fournie par Jacques Heers, (Heers, 1971, p.232), le prix du plomb en 1462 était selon les « tabula naulorum » de 74 sous de monnaie courante pour un cantar5 ; 7,2 tonnes de plomb équivalent à 151 cantars, et selon le prix indiqué par J. Heers, l’ensemble du doublage coûterait donc 11 174 sous soit 558 livres6 .
A la même époque le coût de construction d’un navire de 800 tonnes de port peut être estimé à environ 10 000 livres (Le même navire armé prêt à appareiller vaut environ 15 000 livres). Le doublage de la coque avec du plomb renchéri donc le prix de construction d’environ 5,6%, on peut penser que si les prix ont évolués dans le temps, le pourcentage à peu changé entre 1462 et 1504. Ce coût explique sans doute que seuls les grands navires soient ainsi doublés, le coût de l’armement étant toujours réparti entre plusieurs « caratisti ». On peut considérer que ce type de doublage outre l’intérêt de mieux protéger la coque, reporte à l’extérieur un lest d’environ 8 tonnes et fait du même coup gagner autant de port disponible, 151 cantars de fret sont ainsi gagnés. A la même époque si on excepte un produit comme la soie, le « naulo7 » tourne entre 20 et 30 sous le cantar ce qui apporte un bénéfice de 3000 à 4500 sous par voyage ou 150 à 225 livres, ce revenu permettant d’amortir la dépense initiale en trois ou quatre voyages.
Par ailleurs ce choix n’est pas sans poser d’autres questions, en effet le bordage de la coque de la Lomellina, y compris le galbord, est réalisé en pin à l’exception de deux virures au niveau de chaque pont qui sont en chêne. Le pin représente donc environ 80% de l’ensemble du bordage. Cette pratique est contraire aux habitudes des chantiers ligures de l’époque qui utilisent le plus souvent du chêne. On peut donc penser que cette option vise à faire des économies, mais dans ce cas on comprend mal le choix de doubler la coque en plomb qui au contraire renchérit la construction.
Références bibliographiques concernant le doublage en plomb des navires de la Renaissance.
Aperçu historique concernant le doublage des coques avec du plomb.
Le doublage en plomb de la coque est attesté dans l’Antiquité depuis au moins le IVème siècle av. J.C. : épaves de Porticello et de Kyrenia (Gianfrotta-Pomey, 1980, p. 261), ou l’épave d’El Sec dans la Baie de Palma de Majorques (A. J. Parker, 1992, p.392) ; l’épave la plus tardive comportant un doublage continu semble être l’épave de Procchio, près de l’île d’Elbe, datée de la fin du IIe siècle après J.C. (A. J. Parker, 1992, p.342), au total cinquante sept épaves doublées de plomb sont attestée entre ces deux époques. « Ce type de revêtement était onéreux et à cause de son poids pénalisait la capacité de transport du navire11 ; il fut sans doute remplacé par des enduits et des peintures de coque meilleur marché, plus simples à appliquer et d’une efficacité comparable » (Pomey, 1997, p. 97). Le plomb reste utilisé pour effectuer des réparations urgentes des œuvres vives.
A la Renaissance, le doublage en plomb est de nouveau utilisé, sans que l’on sache exactement à partir de quand. Le procédé est utilisé à Gênes et l’attestation la plus ancienne nous est fournie par l’épave de la Lomellina, sans doute construite à une date comprise entre 1504 et 1509. Le procédé est ensuite utilisé épisodiquement pour les grandes unités (« naves », galions), la coque des navires de moindre tonnage continuant quant à elle à être protégée par une couche de résine (poix) appliquée à l’extérieur et à l’intérieur de la carène12. La dernière mention d’un doublage en plomb relevée dans les inventaires génois se situe dans l’état actuel de nos connaissances en 1579 (paragraphe 3.5 ci-dessus).
Il semble bien qu’à la même époque les Portugais et Espagnols utilisent eux aussi le doublage en plomb13. La première utilisation d’un doublage en plomb par les espagnols aurait eu lieu selon Haring en 1514, à l’occasion de l’expédition de la flotte de Pedrarias Davila en direction de Santa Maria del Darien, suite à la découverte l’année précédente de la mer du Sud par Vasco Nunez de Balboa (Haring, 1964, p. 277). Tout en ne citant aucune référence, Marx affirme quant à lui (Marx, 1987, p.97), que c’est en 1508 que les espagnols doublent leurs navires avec du plomb pour la première fois, puis que l’usage de cette technique est ensuite discontinu jusqu’en 1567, date à laquelle son emploi fut interdit. Il semble toutefois qu’il ait été encore employé à partir de 1605 uniquement pour les navires contraints d’hiverner à la Vera Cruz (Mexique).
Sous réserve de vérification des données espagnoles, il est intéressant de noter la presque simultanéité de l’adoption du plomb pour doubler les coques à Gênes et en Espagne.
La présence de bande de plomb recouvrant le calfatage près de la quille est attestée sur l’épave du San Esteban, un « nao » espagnole de 200t. coulée en 1554 sur les côtes du Texas. Cependant cette observation ne parait pas indiquer un doublage complet de la coque mais plutôt une réparation visant à étancher une infiltration d’eau14
Une référence archéologique, nous est fournie par la fouille du Mauritius un navire de la Compagnie des Indes Hollandaises (VOC), coulé au Cap Lopez (Gabon) le 19 mars 1609. Sur cette épave dont la coque est construite avec un double bordé, un doublage en plomb a été observé, pris en sandwich entre les deux bordés. Faute d’observations précises, nous ne disposons de données ni sur les dimensions du doublage, ni sur la manière dont il était mis en place (M. L’Hour, L. Long, E. Rieth, 1989, p.215-216). Il faut noter par ailleurs que les sources écrites hollandaises ne semblent pas mentionner l’usage de ce type de doublage au XVIIème siècle.
L’épave d’un autre navire de la VOC, la flûte Lastraguer, coulée en 1653 aux Iles Shetland, pourrait nous fournir une autre référence, mais cette épaves dont n’a subsisté aucun vestige de la coque, n’a livré que des fragments de plomb de quelques centimètres percés de trous de clous de section carrée. Ces petits fragments nous semblent plutôt indiquer des plaques de plomb utilisées d’une manière courante pour réparer des fuites dans le calfatage qu’un doublage de la coque (R. Stenuit, 1974, p.221).
Le plomb semble ensuite être abandonné au profit du bois au moins lorsque le navire fréquente les mers chaudes. Il est remis à l’honneur en Angleterre en 1671 sur le HMS Phoenix après la mise au point d’un procédé de laminage qui permet une épaisseur moindre et plus régulière, inventé par Sir Philip Howard en 166015. Cette notation semble indiquer que les plaques de plomb étaient au paravent fabriquées à l’aide de plomb fondu, technique qui pourrait expliquer une épaisseur irrégulière. On connaît malheureusement peu de chose à propos du Phoenix16, dont le doublage pesait 5,5 tonnes soit un peu moins que celui de la Lomellina. Toutefois si les caractéristiques du Phoenix ne sont pas connues, on connaît celles de son « sister ship » le Nonsuch construit lui aussi à Portsmouth par Anthony Deane en 1668 (Lyon, 1993). Pris par les français en 1696 et rebaptisé le Sans Pareil, nous disposons des mesures effectuées au moment de sa prise. C’était un navire de 359 t., dont la quille mesurait 25,3 m, la largeur 7,92, le creux 3,10 (Demerliac, 1992, p.36), un calcul rapide montre que le rapport des surfaces couvertes entre Phoenix et Lomellina est d’environ 3/4 et donc grossièrement conforme aux évaluations que nous avons faites.
Après un premier examen de la coque du Phoenix en 1673, l’expérimentation est considérée réussie et en l’espace de 5 ans une vingtaine de navires dont l’Henrietta furent doublés en plomb. Mais en 1674, le Phoenix, puis en avril 1675, l’Henrietta perdent tour à tour leur gouvernail et les constatations effectuées montrent que toutes les ferrures du gouvernail y compris fémelots et aiguillots, ont été rongées d’une manière anormale ; devant ces anomalies non élucidées, aucun navire de la Royal Navy ne sera plus doublé en plomb après 1679 (B. Lavery, 1987, p.61).
Conclusion
Les observations effectuées sur la Lomellina recoupent assez bien les données fournies par les sources écrites dont nous avons connaissance et nous permettent de disposer maintenant d’informations précises et claires sur la forme générale des plaques de doublage (longueur, largeur, épaisseur), sur les surfaces de la carène qu’occupe le doublage (de la quille à la première préceinte au dessus de l’eau), sur la manière dont se recouvrent les plaques les unes les autres et sur la manière dont elles sont clouées. Enfin nous pouvons évaluer la masse de plomb utilisée et donc le coût d’une telle solution apportée au problème de protection des coques.
Le plus surprenant est de comparer ces données avec celles qui concernent le doublage en cuivre adopté par la Royal Navy à partir de 1760. On ignore quand la technique du doublage à l’aide de plaque de plomb a été abandonnée, mais l’utilisation du cuivre n’apparaît à coup sûr qu’après une très longue interruption.
Or les dimensions et les principes adoptés en 1761 sont étonnements proches de ceux utilisés par les génois au XVIème siècle. Qu’on en juge dans le tableau ci-joint.
Doublage en plomb (Gênes, XVIe siècle) | Doublage en cuivre (Royal Navy, fin XVIIIe - XIXe siècles) | |
---|---|---|
Longueur | 5 palmes = 120 cm | 4 pieds = 122 cm |
Largeur | 1 palme 2/3 = 40 cm | 15 pouces = 38 cm |
Rapport L/l | 3 | 3,2 |
Epaisseur | 1,34 mm | 1,5 mm |
Recouvrement | 4 à 5 cm | 3 cm |
Calepinage | d’avant en arrière et bas en haut | idem |
Distance entre bordure et clouage | 2 à 4 cm | 1,5 cm |
Diamètre de la tête du clou | 10 mm | 8 mm |
Longueur et section du clou (sous la tête) | 20 mm – 4 mm | 30 mm – 4 mm |
Espacement des clous | 3,5 cm | 4 cm |
Espacement des diagonales | 7 cm | 8,7 cm |
Cette grande similitude indique à coup sûr une continuité dans le savoir si ce n’est dans la pratique, même si ce que nous connaissons concernant la mise en oeuvre de ce procédé paraît discontinu elle est suffisamment répandue pour que le savoir faire ait perduré.
Le texte concernant la Santa Anna montre que, même si la cause n’en était pas identifiée, les phénomènes de corrosion anormale qui apparaissaient lorsqu’on utilisait des clous de fer pour fixer le doublage de plomb sur la coque étaient connus dès le XVIème siècle, c’est ce qui induira sans doute les maîtres d’ache à utiliser des clous en cuivre ou en bronze pour essayer de l’enrayer. Cependant lorsque la Royal Navy remet à l’honneur l’usage du plomb pour le doublage des coques, cette connaissance semble avoir été perdue et conduit à des déboires qui expliquent l’abandon du procédé. Peut-être les constructeurs de navires génois ont-ils eu au XVIe siècle le même cheminement ? On peut cependant remarquer que la tentative anglaise n’a duré qu’une dizaine d’années alors qu’au point où en sont nos connaissances la période génoise a été sensiblement plus longue.
Les phénomènes d’électrolyse étant inconnus, on se heurtera d’ailleurs à nouveau au même problème lorsque vers 1760 on essayera de doubler la coque des navires avec du cuivre en fixant les plaques avec des clous de fer.
Bibliographie
2. François Wilmotte, Centre d’information du plomb, Paris, 23 novembre 1987.
3. Il faut savoir que c’est pour cette raison que le cuivre fut remplacé après 1830 par un alliage appelé : « métal jaune », constitué de 50 % de cuivre et de 50 % de zinc.
4. Une autre conséquence de cette analyse est de montrer que le lingot de plomb analysé était plutôt destiné à la fonte de balles qu’à la fabrication de feuilles de doublage.
5. Un cantar = 47,65 kg.
6. Une livre de compte vaut 20 sous.
7. Le coût du transport.
8. Le cas de la Santa Rosa qui fait l’objet en 1674 d’une inspection de contrôle à la demande des propriétaires qui se plaignent que le navire n’a pas été construit selon les normes convenues est cité par L. Gatti (Gatti, 1999, p.574).
9. Préceinte.
10. Premièrement le corps du vaisseau, du port de deux milles six cent salmes environ, couverte de plomb, étanche, bien pourvue de courbes et d’épontille, bien clouée et calfatée.
11. On voit que l’opinion de Patrice Pomey diverge de la notre, mais le chargement souvent pondéreux (en particulier les amphores) des navires antiques pouvait être alors considéré comme du lest (payant), sa remarque est alors sans doute justifiée. Mais en ce qui concerne les grandes navi génoises, le développement de la mature et la hauteur des châteaux avant et arrière nécessite de toute manière un lest de plusieurs dizaines de tonnes pour que le navire lège reste stable.
12. Dans un contrat de construction daté de 1605, une barque génoise de 13,38m doit être : « carafata et impegata tutta dentro et fuori » (calfatée et enduite de poix à l’intérieur et à l’extérieur) (Gatti, 1999, p.290).
13.The Naval Tracts of Sir William Monson, IV, publié par la Navy Record Society, Vol. 45, p.52.
14. Un exemple génois nous est fourni par un témoignage daté de 1599, quand un plongeur – « un nommé Gioseppe » - fut envoyé à Porto Ercole pour réparer une nave « qui faisait eau » ; l’homme s’immergea « plusieurs fois pour inspecter cette nave et voir d’où provenait la voie d’eau, et poser quatre plaques là où se trouvait la fuite » (L. Gatti, Catene d’oro per il maestro Ambrogio. Costruttori di navi tra medioevo ed atà moderna elle fonti notarili genovesi, in Saper fare. Studi di storia delle rechniche in area mediterranea, ISEM Cnr, Cagliari Genova Torino, 2004, p. 54. Aussi (Bass, 1988, p.89) et (Rosloff, Barto Arnold III, 1984, p.287-296.)
15. La frégate Phoenix construite par Deane à Portsmouth en 1671 est doublée en plomb, le poids du doublage est de 5 tonnes et demi, celui des clous d’environ 340 kg (B. Lavery, 1987, p.61)