Jour 10

Jour 10

Aujourd’hui 17 octobre, le remblaiement du site se poursuit. Philippe Livoury me donne un texte (les impressions d’un plongeur démineur) qu’il a écrit quelques jours auparavant :

7h00

Dans la rade de Villefranche, le vent est nul, la mer est d’huile, un grand quatre-mâts barque vient au mouillage. Seul le bruit de son groupe électrogène perturbe le calme de la baie. Une cloche sonne, la ville s’éveille.

Cela fait déjà six jours que le Pluton est embossé à l’aplomb du site archéologique de la nef génoise la Lomellina coulée là en 1512 par la tempête, par 20 mètres de fond.
Le bâtiment affourché est cap au sud pour se prévenir d’une éventuelle houle du large. La plage arrière s’anime.

La caméra de surveillance, qui est restée sur le fond, est mise en marche avant le départ des plongeurs. Elle nous retourne les premières images du fond. L’eau est très claire, le voile de vase de la veille s’est dissipé au cours de la nuit. Impression d’importuner… Les rougets s’affairent, les barbillons dans la vase, sans se douter qu’ils sont observés. Les premières varangues sombres de l’épave de la Lomellina sortent du sédiment, un magnifique et immense tapis vert fluorescent de Caulerpa-taxifolia les entourent.
La tâche d’aujourd’hui consistera à déblayer les matériaux plus profondément, sous les structures, afin de permettre les prises de mesures.
Les premiers plongeurs se mettent à l’eau, je les suivrai bientôt. Ce sont les cinéastes avec leur lourd matériel qui profitent de la visibilité pour glaner quelques plans. Ce soir ces images seront sur le Net.

Les photographes laissent la place aux terrassiers. Dans quelques minutes, un gros nuage de sédiments troublera l’eau. Je pars pour quarante minutes de travail. A mesure que je m’enfonce, les structures apparaissent plus clairement : quille, varangues, virures de galbord, bordés.
Sur le fond le travail s’organise. D’abord timidement, presque à tâtons, puis les gestes se font plus précis. Ca y est, le suintement de la dévaseuse se fait entendre. En haut, à vingt mètres au-dessus de moi, sur le pont du Pluton, la motopompe tourne à plein régime.
Deux “suceuses”à eau travaillent de concert. Posées sur le fond, des mains gantées “leur donnent à manger” des volutes de vase qui sont aspirées ; elles évacuent les petits matériaux, alors que les plus gros sont déplacés dans des paniers en dehors du périmètre de fouille. Les matériaux que nous évacuons sont essentiellement composés des galets qui constituaient le lest du navire.

Les repères des précédentes campagnes de fouilles se découvrent les uns après les autres. Petit à petit on imagine les formes et les volumes du navire qui dort depuis cinq cents ans dans la vase protectrice de la baie de Villefranche. Les gros rougets semblent nous accompagner dans le travail ; ils fouillent en formation la vase que nous avons ébranlée en bordure de tranchée. Des sars, des pagres et autres espèces préfèrent attendre patiemment au refoulement de la suceuse où ils happent tout ce qui passe à leur portée. Il ne restera rien.
Mon remplaçant arrive, déjà les quarante minutes sont passées et je dois remonter. Par gestes, je lui transmets les directives du travail qui reste à faire. Les équipes de plongeurs du GRAN et les plongeurs démineurs se succèdent ainsi toute la journée.

C’est au tour du spécialiste des charpentes navales de s’immerger. Il part glaner les relevés qui permettront de confirmer la façon dont les maîtres charpentiers de l’époque assemblaient leurs navires. Un mystère demeure car les relevés recueillis il y a dix ans semblent révéler une anomalie dans la construction de l’ossature de la Nave. Il s’agit donc de confirmer ou d’infirmer ces mesures. Le plongeur remonte avec les mêmes mesures qu’il y a dix ans. Le mystère subsiste donc encore. C’est le surlendemain que les doutes seront levés : avec dix ans d’écart, la même erreur a été faite au même endroit du profil de quille ! Nous voilà rassurés, l’erreur est corrigée et les mesures enfin cohérentes : c’était la raison principale de notre présence sur le site.

La première partie de la campagne s’achève, demain il faudra inverser “les suceuses”, les matériaux retirés de l’épave devront retrouver leur place, pour la protéger à nouveau pendant de longues années de l’usure du temps.

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