Sénégal – Sondage de l’épave n°803

Sénégal – Sondage de l’épave n°803

Découverte et éxécution
Découverte

L'épave a été découverte au cours d'une recherche systématique effectuée par un plongeur remorqué.
Brièvement examinée par mauvaise visibilité, ne sont alors apparues que deux grandes plaques métalliques, quelques gueuses de lest en fer et quelques briques.

Elle fut alors, en première analyse, considérée comme une épave relativement récente et son expertise fut reportée à la campagne suivante

1er
Avril
1988
Exécution du sondage

Le sondage de l'épave a reçu le numéro repère 803, trente six plongées y ont été consacrées.
Le travail a comporté le repérage exact des amers permettant la localisation de l'épave et leur photographie, l'établissement d'un plan d'ensemble du site, l'exécution de deux sondages limités, le prélèvement de quelques objets pour datation et identification de l'épave.

4-7
Décembre
1988
Description du site

Le site se trouve à 300 m au nord-ouest de la plage de l'île de Gorée à la position géographique :

  • L = 14° 40',2 Nord
  • G = 17° 23',9 Ouest

 

L'épave gît sur un fond de sable par 15 mètres de profondeur.

4-7
Décembre
1988

Les vestiges apparents sont répartis suivant une orientation générale nord-sud. En allant du nord vers le sud, sur une longueur totale d’environ 18 mètres, on observe successivement : deux grandes feuilles de plomb déployées d’une épaisseur d’environ 2 mm (1), une série de saumons en forme de parallélépipèdes de 95 x 17 x 17 cm, concrétion comprise (2), et une douzaine de saumons de fer de section carrée de 55 x 55 x 10 cm (3), une pièce d’artillerie dont la bouche orientée vers le nord, est invisible et prise dans une masse de concrétion (le diamètre de la culasse est d’environ 45 cm (4), un petit canon de fer de 95 cm de long (5), une série de gueuses de fer des deux types précédents.

Un certain nombre de pierres de lest et de briques éparses autour du site et un entonnoir creusé au centre de la partie nord, témoignent de fouilles clandestines hâtives et non organisées qui en première analyse paraissent très nuisibles à la cohérence du site. Sans doute dégagés au cours de ces tentatives, des éléments de charpente sont apparents. Ces charpentes comportent une virure de bordé de 5 cm d’épaisseur visible sur une longueur de 1,1 m, soutenue par trois membrures d’environ 14 x 7 cm de section.

Après l’établissement du plan du site, un sondage a été entrepris à la périphérie. Effectué au nord du site, dans l’axe longitudinal du groupe de gueuses de lest principal, ce sondage fut particulièrement heureux, puisqu’il nous a permis de dégager l’extrémité de la quille du bâtiment, nous permettant de déterminer l’orientation exacte et la position dans l’espace de l’épave mais aussi d’étudier la structure des fonds du navire.

Ont été observés : la quille (1), la contre quille (2), le galbord (3), trois varangues (V1, V2, V3), une série de demi-couples (5), une serre(6).

L’épave est orientée au 030, sans que l’on puisse déterminer avec certitude la direction de l’avant. Le bâtiment est incliné de 50 degrés vers l’ouest. La quille s’enfonce très légèrement vers le sud avec une pente de 1 à 2 cm par mètres.

Les structures qui apparaissent dans le champ du sondage sont très dégradées : inclinées de 50 degrés vers l’ouest elles sont en outre arasées suivant un plan grossièrement horizontal. L’aire très réduite du sondage (1,5 m x 1,5 m) ne permet pas de situer avec précision les éléments observés par rapport à l’ensemble de la structure. Les observations et les mesures effectuées devront être réexaminées lorsque l’ensemble de la carène sera accessible. Les données recueillies sont cependant suffisantes pour permettre de déterminer l’origine du bâtiment.

On se trouve en présence d’un système comportant quille complexe typique des navires, composé d’une quille, d’une contre-quille et probablement d’une fausse quille, bien que cette dernière soit masquée par une couche de brai. La quille, de 30 à 32 cm de large, présente une râblure triangulaire à son sommet avec des angles précis. La contre-quille mesure 32 cm de large et 14 cm de haut, et est entaillée pour accueillir les pieds des varangues. Des broches de fer assemblent ces éléments, bien que deux broches de 4 cm de diamètre aient une fonction inconnue.

Un assemblage spécifique de quille, observé sur une longueur de 92 cm, est typique de la construction navale anglaise, contrastant avec la tradition française qui utilise des plans de contact horizontaux. Les dimensions et proportions, comme une largeur de 31 cm et une longueur de 92 cm, correspondent aux standards anglais du XVIIIe siècle, suggérant qu’il s’agit d’une petite corvette d’environ 200 tonneaux, mesurant entre 20 et 25 mètres de long et 6 à 7 mètres de large.

La membrure est formée d’une alternance de varangues et de demi-couples constituant un remplissage continu au niveau de la quille. Les varangues mesurent de 23 à 24 cm de large et sont traversées par une broche verticale. Le pied de la varangue (V1) à une hauteur restituée de 40 cm et comporte un talonnier.

Les demi-couples occupent l’intervalle laissé entre les varangues soit environ une quarantaine de centimètres.
Ce type d’organisation de la membrure, alternance de varangue et de demi-couples, est habituellement utilisé entre la moitié du XVIIème siècle et le début du XVIIIème siècle. Il faut noter que la largeur des varangues nous apporte un nouvel indice d’une construction anglaise dont la règle dit que pour une corvette (sloop), la largeur des varangues est égale à la hauteur de la quille x 0,786 soit 31 x 0,786 = 24,3 cm (Goodwin, 1987, p.22).

Ce sondage très rapide avait pour but de vérifier l’orientation générale de l’épave déduite du sondage Nord. Effectué à une distance de 3,25 m de l’axe supposé de la quille, il a permis d’atteindre la partie interne de la coque (vaigrage) à 60 cm sous la surface du sédiment, nous permettant de confirmer l’axe observé dans le sondage nord. On peut estimer que la coque est conservée à l’ouest de la quille sur une distance d’environ 5 à 6 mètres.

Mobilier archéologique

Pièces de gréement

Deux poulies et deux éléments de poulie ont été mis au jour dans la partie ouest de sondage nord : une joue et un réa. Le tableau ci-dessous en donne les dimensions principales.

Cette poulie est la mieux conservée, il s’agit d’une poulie simple monobloc avec une engoujure destinée au passage de l’estrope. Le rapport de la longueur à la largeur est de 11/10. La largeur du réa donne à 10% près, le diamètre du cordage utilisé, soit environ 3 cm. La joue de la poulie n°84 est très dégradée et pourrait être associée au réa n°83.

Les deux balles de plomb découvertes ont un diamètre de 17 mm. Nous disposons de deux références archéologiques concernant des balles de 17 mm de diamètre. L’épave du Kennemerland, vaisseau de la Compagnie des Indes Hollandaise, naufragé en 1664 aux Shetlands a livré 3000 balles de ce calibre (R. Price, 1974). L’épave du navire anglais Sea Venture, naufragé aux Bermudes en 1609 à également livré 1527 balles de 17 mm parmi des balles de 15 et 19 mm (A.J. Wingood, 1982).

Ces tuiles plates rectangulaires, légèrement bombées, ont été fabriquées à la main. Leurs dimensions sont les suivantes : longueur = 24,5 cm, largeur = 15 cm, épaisseur = 1,3 cm. Deux trous percés à une extrémité sont destiné au clouage. Ces tuiles sont utilisées sur les toits à grande pente des pays à très forte pluviométrie. Une ordonnance de Edouard IV a fixé les dimensions de tuiles plates à 10 pouces et demi de long (26,7 cm) et 21,5 cm de large. Notre module est plus petit et correspond à un type dit « petit moule » dont les dimensions sont les suivantes : longueur = 20 à 27 cm et largeur = 13 à 18 cm.

Il faut ajouter au fragment mis au jour (n°65), une « olive jar » complète, prélevée sur le site avant notre intervention et que j’ai eu l’occasion d’examiner.
Ces récipients d’usage courant ont été utilisés d’une manière continue de la fin du XVIème siècle au XIXème siècle sans qu’à ce jour on soit capable de les dater. Nous
disposons de très nombreuses références archéologiques : 

  • Trinidad Valencera – Espagne – 1588 (Stenuit, 1988),
  • San Antonio de Tanna – Portugal – 1617 (C.M.Piercy, 1977),
  • Molasses reef wreck – Espagne – XVIème (D. Keith, 1984).

Le fragment n°65, ne correspond pas au module d’une « olive jar » mais est constitué d’une pâte fine dure très proche de celles de ces dernières.

En général un lestage à l’aide de saumons de fer indique un navire de guerre, les bâtiments de commerce étant le plus souvent lestés à l’aide de galets de rivière. Les dimensions des lests de fer observés sur le site ne sont pas courantes, les saumons pèsent en général de 25 à 50 kg pour en faciliter la manutention.

Les dimensions mesurées sur le fond comprennent l’épaisseur de la concrétion qui est évaluée à environ 1 cm. Les dimensions réelles estimées sont donc les suivantes :

  • 1 – 93 x 15 x 15 cm soit un poids d’environ 159 kg.
  • 2 – 53 x 53 x 8 cm soit 157 kg.

Les deux types de gueuses pèsent donc le même poids.

Nous possédons pour la gueuse du type 1 une référence archéologique ainsi qu’une référence bibliographique qui établissent leur origine anglaise. Le 10 juin 1770, James Cook échoue l’Endeavour sur la Grande barrière d’Australie. Pour se déséchouer il fait jeter par dessus bord une ancre, un canon, et des gueuses de lest. Ces objets seront découverts et récupérés en 1971. Les gueuses de lest (ballast block) mesurent 92 x 15 x 15 cm et sont munies d’un trou à une extrémité (L.E. Samuel, 1980, p.352).

Par ailleurs, Brian Lavery remarque : 

« Iron ballasts, sometimes known as "kentledge" came in the form of strips known as pigs. These varied in size, from 3 ft x 6 in x 6 in, to 1 ft x 4 in x 4 in, and in weight, from 320 to 56 lbs, but the largest of this size was by far the most common in the late eighteenth and early nineteenth centuries. »
- (Brian Lavery, 1987, p.186).

Le type 1 correspond donc bien à un « iron pig » de 3 ft x 6 in x 6 in soit 91,4 cm x
15,2 cm x 15,2 cm et pesant 320 livres soit 145 kg.

Conclusion

L’origine anglaise de l’épave semble confirmée, tant par ses structures que par son armement. Les dimensions de la quille indiquent un navire d’environ 200 tonneaux.

En 1989, deux hypothèses étaient envisagées : soit il s’agissait du Pearl Prize, un navire anglais capturé en 1693 et coulé au large de Gorée en 1694, soit du Racehorse, un sloop anglais capturé en 1778, renommé Sénégal, puis repris et accidentellement brûlé à Gorée en 1780. Les recherches menées en 2018-2019 ont confirmé qu’il s’agit de la corvette Sénégal (ex-HMS Sénégal). 

Une fouille complète est suggérée pour comprendre son rôle dans la traite, soit comme participant aux voyages triangulaires, soit comme navire assurant la police et le transport d’esclaves vers Gorée, potentiellement en lien avec la Maison des Esclaves.

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