Gilles,
La réponse n’est pas simple comme vous devez vous en douter.
Pourquoi un balancier alors que dans le même bassin nautique vous pouvez trouver des pirogues sans ou à deux balanciers ?
Globalement dans l’archipel de la Polynésie française, le balancier unique se trouve à gauche sauf dans quelques îles comme à Raivavae où le balancier est à droite … mais là encore une étude que nous avons faite révèle que 40 % des balancier des pirogues de cette île sont tout de même à gauche.
De toute façon comme vous l’évoquez, traditionnellement les pirogues de Polynésie française ont le balancier à gauche. Pourquoi pas à droite, certains évoquent les vagues, la position du pêcheur pour remonter le filet ou pour maintenir sa ligne, etc. Sur les petites embarcations de pêche, la traverse avant est rigide et celle arrière est « souple » pour permettre un rôle d’amortisseur dans la houle, ce n’est plus le cas sur les va’a de course.
En ce qui concerne le deuxième balancier, les autres archipels du Pacifique, l’utilise. Est-ce en raison d’une configuration maritime différente ? Très certainement mais aussi le poids des habitudes de constructions ancestrales. Notre position est assez tranchée sur ce point : il semble qu’un deuxième balancier n’apporte en dehors d’une plus grande stabilité que des inconvénients.
1°/ une plus grande surface est nécessaire pour la construction, la mise à l’eau, l’échouement et le mouillage qu’une pirogue à simple balancier ;
2°/ un deuxième balancier rend la pirogue plus difficile à manœuvrer, je vous propose de faire le teste de monter un deuxième balancier à une pirogue de 6 et de d’essayer ;
3°/ il faut imaginer une pirogue à deux balanciers dans une passe, au large avec une bonne houle ou près du récif, en cas de chavirage, vous pourrez toujours redresser une pirogue à simple balancier, ce n’est pas le cas d’une pirogue à deux balanciers ou pire d’une pirogue double ;
4°/ une pirogue bien lancée déjauge est le balancier effleure l’eau, le deuxième balancier serait un frein ;
5°/ je n’ai pas évoqué le la surcharge qu’entraînerai deux nouvelles traverse et un second flotteur mais aussi les problèmes mécaniques y afférents ;
L’an passé un rameur s’est lancé dans la traversée de Huahine à Tahiti avec une pirogue avec deux balanciers, ce prototype est resté sans suite. D’après son constructeur, des performances seraient possibles.
Faut-il voir aussi, les vestiges de la navigation à voile dans cet unique balancier ce n’est pas certain car là encore dans des archipels proches, des embarcations à voile ont deux balanciers. C’est inextricable.
En conclusion, pour avoir discuté longuement avec des tamuta, charpentiers traditionnels, lors de la réalisation d’une pirogue monoxyle ou en planches cousues, il peut arriver que pour diverses raisons elle ne soit pas verticale ou symétrique : elle penchera d’un côté … la position et la forme du balancier sera là pour contrecarrer ce problème.
Enfin, voici trois ouvrages forts intéressants :
- Tommy Holmes, The Hawain Canoe, Editions Limited, Honolulu, 1996 [1981]
- Hoddon et Hornell, Canoes of Oceania, Bernice P. Bishop Museum Press, Special Publication 27, 28 and 29, Honolulu, 1997 [1936, 1937, 1938].
- Jean Neyret S.M., Pirogues Océaniennes, TII, Association des amis des musées de la marine, Paris, 1974.
Cordialement,
Robert veccella
Responsable de l’antenne du GRAN à Tahiti
PS : le catalogue de l’expo Va’a, la pirogue polynésienne doit sortir avant la fin de l’année.