La campagne de fouille sous-marine d’un trois mâts chilien naufragé sur l’île de Mangareva (Polynésie française) vient de se terminer.
Papeete – 2 novembre 2000.
Une équipe d’archéologues du Groupe de Recherche en Archéologie
Navale (Antenne de Polynésie) a entrepris du 10 au 30 octobre la
fouille archéologique sous-marine sur l’épave d’un trois-mâts
chilien, le Francisco Alvarez, naufragé le 20 octobre 1868 sur l’île
de Mangareva (Archipel des Gambier – Polynésie française).
Ce navire qui transportait une cargaison de bois d’Oregon à
destination de Santiago du Chili, s’était dérouté
vers les Gambier à la suite d’une voie d’eau importante et d’un
mauvais temps persistant d’Est. Entré sans dommage dans le lagon
de Mangareva, il heurta le lendemain un pâté de corail en
essayant de gagner un meilleur mouillage devant Rikitea.
Ce qui a motivé l’intérêt des archéologues
est à la fois la possibilité d’étudier une épave
cohérente, alors que presque tous les naufrages qui se sont produits
sur les récifs extérieurs sont très destructeurs ;
mais aussi :
- d’évaluer l’impact de ce naufrage sur la vie de la petite
communauté mangarévienne,
- d’essayer de mettre en lumière les relations privilégiées
de l’archipel, avec le Chili et le port de Valparaiso.
La présence d’un jeune archéologue chilien, M. Diego
Carabias, venu dans le cadre d’une coopération franco-chilienne
recevoir une formation aux techniques de l’archéologie sous-marine,
était à cet égard particulièrement importante.
A la grande surprise des plongeurs locaux qui avaient auparavant visité
le site du naufrage, le fond de carène de l’épave s’est révélé
très bien conservé sous la couche de lest de pierre qui le
protégeait. L’étude s’est bornée à deux secteurs
de l’épave de surface limitée, car celle-ci ne mesure pas
moins de 44 m de long pour une largeur de 9,5 m, cette étude a permis
de recueillir un grand nombre d’informations et surtout d’effectuer une
étude remarquablement détaillée des structures et
des formes pour le plus grand profit de Diego Carabias. La facilité
d’accès du site, la faible profondeur (6 m) ont même fait
germer l’idée d’en faire à l’avenir un site école.
L’impact du naufrage peut se mesurer à la lecture du journal
du Père Laval, missionnaire de la Congrégation des Sacrés
Cœur alors présent sur l’île, puisque les vestiges de la cargaison
et des charpentes du navire, servirent à la construction des maisons
particulières et des édifices publics et religieux. Ainsi
les colonnades du tribunal de Taravai, l’île voisine, furent fabriquées
avec les mâts du Francisco Alvarez. Mais bien peu de ces charpentes
ont survécues au climat chaud et humide et les bois locaux ont depuis
longtemps remplacé le pin d’Oregon. Nous avons cependant prélevé
un échantillon d’un madrier de bois rouge qui servait de banc devant
un « fare » et était réputé être
du bois flotté datant de une ou deux générations.
Le site a livré très peu d’objets, car lorsque le navire
s’échoua, ses superstructures émergeaient largement et tout
ce qui était accessible fut prélevé y compris dans
l’eau car les plongeurs mangaréviens étaient de très
habiles pêcheurs de nacre. Curieusement, c’est une pièce chinoise,
une sapèque, qui fut trouvée au milieu des pierres de lest,
évoquant plus le dur labeur des coolies utilisés comme docker,
que les ports de l’Amérique du Sud. La présence de charbon,
probable résidu de la cargaison transportée depuis les mines
chiliennes de Lota vers San Francisco au cours du voyage aller, vient conforter
l’identification de l’épave, déjà pratiquement établie
par les dimensions du navire. Trouvé dans un jardin derrière
une maison, un dessus de buffet ou de desserte en marbre blanc avec une
petite rambarde en cuivre est l’objet qui nous paraît le plus sûrement
provenir du Francisco Alvarez.
Quelques monnaies chiliennes trouvées il y a trois ans en creusant
les fondations d’une maison de l’île viennent éclairer l’étroitesse
des liens qui unissaient les Gambier et le Chili. Celles-ci étaient
baptisés Moni Manu (monnaie oiseau) à cause du condor qui
y figure avaient libre cours dans les îles. Le rôle joué
par Valparaiso escale indispensable sur le chemin des îles, base
de la station navale française, comptoir commercial privilégié
du Pacifique Sud est au centre de ces relations. Une anecdote éclaire
bien cette interdépendance : lorsque les mangaréviens entreprirent
en 1860, la construction de leur goélette, la Maria i te aopu ,
avec les restes d’un navire naufragé sur l’île d’Akamaru,
c’est à Valparaiso qu’ils envoyèrent chercher les clous dont
ils avaient besoin.
La mission qui vient de s’achever a aussi été l’occasion
de faire appel à la mémoire des anciens et de faire revivre
quelques événement maritimes qui marquèrent la vie
de l’archipel. Ainsi l’histoire du Pyrénées, un navire dont
la cargaison avait pris feu et dont l’histoire est restée très
vivace parce qu’une jeune fille, Maria Mamatui s’étant elle même
cruellement brûlée le même jour, s’était vue
donner le surnom de Pyrénées. Au récit vague, maintes
fois répété, nous avons pu donner corps et retrouver
la date : le 2 décembre 1900, où le navire anglais,
un quatre mâts à coque de fer, s’échoua à Mangareva
avant d’être renfloué et remorqué jusqu’à Tahiti.
Ont participé à cette opération dirigée
par M. Robert Veccella, des plongeurs et archéologues venus de France
métropolitaine (Max Guérout et Tatiana Villegas) ou résidant
en Polynésie (JP Carlotti et deux plongeurs des Douanes : Bernard
Alenda et Jean-Marc Fabreg), et Diego Carabias, venu du Chili.
Cette campagne de fouille a été financée par le
Gouvernement de la Polynésie française, la Société
des Etudes Océaniennes (SEO), et des entreprises privées
: Robert Wan, la Brasserie de Tahiti, Vita Industrie et le Centre de plongée
du yacht club de Tahiti. Elle a reçu sur place une aide remarquable
de Bruno Schmidt, Sylvain et Karine Girardot, d’Hervé Vergeaud,
Benoît et Bianca, et de Mateo Pakaiti.
Les principaux résultats de cette mission seront présentés à la Société des Etudes Océaniennes, le mardi 7 novembre à 17 h 30, aux Archives Territoriales,
Contacts :
Robert Veccella, Groupe de recherche en archéologie navale,
antenne de Polynésie
Tél./Fax/Rép. : 00 689 53 10 85 ; Email : veccella@mail.pf
Max Guérout, Groupe de recherche en archéologie navale,
Paris :
Tél. : 00 33 (0)1 43 43 38 95, Fax : 00 33 (0)1 43 43 32 75,
à partir du 12 novembre.
Email : granmax@archeonavale.org