Prospection magnétométrique
dans le Havre de Trinité
(Martinique)


 










1 - Préambule

        Dans le cadre d’une autorisation de prospection délivrée par le DRASSM, le GRAN a effectué une recherche magnétométrique dans une zone située à l’intérieur du Havre de Trinité (Martinique). Le choix de cette zone de recherche a été effectué en fonction des documents manuscrits faisant état du naufrage du trois-mâts Saint-Yves de Nantes survenu en septembre 1704.
        Ce naufrage nous a paru particulièrement intéressant dans la mesure où il a eu lieu à une date relativement ancienne, et qu’il s’agit d’un navire marchand chargé de produits coloniaux, prêt à partir pour la France.
Par ailleurs contrairement à la majorité des naufrages survenus en Martinique, celui du Saint-Yves a eu lieu en pleine eau dans une baie abritée dont le fond vaseux est susceptible d’avoir protégé les vestiges du navire.

        L’envasement probable des vestiges, l’absence de témoignages locaux concernant la présence d’une épave nous ont conduits à choisir une prospection magnétométrique, même si nos expériences précédentes avaient souligné la difficulté d’une telle recherche en zone volcanique. Toutefois les prospections effectuées en 1998 à Fort-de-France à l’aide du magnétomètre SMM II de Geomag/Thomson Marconi Sonar, associé au logiciel Hypack, nous avait montré qu’une telle recherche restait possible à condition de pouvoir restituer le champ magnétique global de la zone.

        Cette prospection a eu lieu du 1er au 14 février inclus avec le concours de la société DRSM pour l’acquisition et le traitement de l’information.

2 - Contexte hydrographique

        Le Havre de Trinité se trouve dans le nord-est de la Martinique à l’enracinement de la presqu’île de la Caravelle. C’est une petite baie d’axe nord/sud dont l’entrée orientée au NNE est comprise entre un petit banc de corail (le banc Mitan) et l’îlet Saint-Aubin prolongé dans le sud par un banc de corail (Le Banc de sable), elle mesure 3000 m de long suivant son axe nord/sud et est large d’environ 2000 m dans sa partie nord et de 1000 m dans sa partie sud. Le Havre est bordé de récifs de corail à l’exception d’une petite plage située au sud. Quatre pâtés de corail, se trouvent à l’ouest du Havre, dont le Loup Fort au nord et le Loup Marguerite au sud. L’accès à la terre se fait au nord-ouest par l’appontement de Cosmy auquel on accède par une petite passe balisée, à travers le récif et un appontement récemment construit à l’entrée du bourg de Trinité dans le sud de la baie. Les fonds varient de 23 m au nord à une dizaine de mètres à l’accore des récifs, et diminuant progressivement dans le sud. Les fonds sont essentiellement constitués de vase.

        Le havre est protégé des vents dominants de secteur NE à SE, mais la houle y entre par vent fort. Les courants liés au vent sont très faibles, la visibilité est réduite en particulier près du fond où la houle maintien une couche de vase en suspension.
 
                 Carte SHOM 7087
        La comparaison des sondes entre le plan du havre de Trinité levé en 1769 et la carte actuelle fait apparaître une différence notable, comprise entre 3 et 4 mètres. Le havre de Trinité est une baie fermée et s’envase donc régulièrement d’une valeur que la comparaison des deux levers hydrographiques permet d’évaluer à environ 1,5 m par siècle.

3 - Contexte géologique

        La baie de Trinité se trouve à la jonction entre les chaînes volcaniques sous-marines de Vauclin-Pitault (miocènes) et les formations volcaniques oligocènes de la presqu’île de la Caravelle. Cette dernière est caractérisée par des filons de barytine, associés à des oxydes et des hydroxydes de fer et des couches de magnétite

  •      Par ailleurs à l’ouest de la baie, les failles d’orientation générale NW-SE qui aboutissent à hauteur de l’anse Cosmy se prolongent probablement en mer jusqu’à leur rencontre avec les failles qui longent le rivage nord de la presqu’île de la Caravelle.

  • Carte géologique de la Martinique.
                        Carte géologique
    4 - Choix des zones de recherches

        Le St-Yves était au mouillage lorsque la chute d’une partie de son grand mât brisé par la foudre provoqua une voie d’eau infranchissable avec les pompes du bord. Après avoir coupé le câble de l’ancre le capitaine espérait que le bâtiment poussé par le vent de nord-est (et peut-être remorqué par les chaloupes du bord) allait pouvoir s’échouer, mais il coula avant d’avoir atteint la côte. Le choix des zones de recherche a été fait en s’appuyant d’une part sur la description des circonstances du naufrage, et d’autre part sur l’hydrographie de la zone.

            Deux zones de mouillage sont indiquées sur la carte moderne (SHOM 7087), l’une à l’est du port de Cosmy par fonds de 16 m, la seconde au sud de la baie par fonds de 10 m. La carte levée en 1831 n’indique que le mouillage sud, comme celle de Moreau du Temple (1770) et le plan du mouillage du Havre de Trinité levé en 1769.

            Plan du mouillage du Havre de Trinité levé en 1769

            Le St-Yves était donc plus probablement mouillé au sud, car eût-il été mouillé au nord, sa dérive par vent de nord-est l’aurait jeté sur le récif situé au sud du port de Cosmy avec aucune possibilité de trouver un fond de sable ou de vase pour s’y échouer. Nous avions cependant prévu de prospecter également une zone au large de ce récif, comprise entre la bouée cardinale nord (PF) et le port de Cosmy
            La zone choisie est formée de deux zones contiguës, la première comprise entre les latitude 14° 45’,100 N et 14° 44’,500 N et les longitudes 60° 57’,410 W et 60° 57’,540 W et la seconde entre les latitudes 14° 45’,100 N et 14° 44’,765 N et les longitudes 60° 57’,540 W et 60° 57’,590 W.
            Compte tenu de l’étroitesse de la zone et du danger représenté par les cayes, les enregistrements ont été poursuivis pendant les phases de retournement permettant de détecter des anomalies même si les positions ainsi obtenues n’étaient pas précises, compte tenu de l’incertitude sur la position du magnétomètre par rapport au bateau pendant les évolutions.
                                        Plan du cul de sac de trinité (1769)

    5 - Choix des paramètres de recherche

            Compte tenu de la géographie de la zone l’orientation Nord Sud des routes de recherche a été choisie. En l’absence de cible précise l’écartement des profils de recherche a été fixé à 18 m pour la phase d’exploration et à 9 m (voire 4,5 m) pour la phase de localisation des anomalies magnétiques détectées.
            Il faut noter l’importance des variations du champ magnétique induites par la géologie et la difficulté qui en résulte à régler la console de réception du magnétomètre sur une valeur moyenne.

    6 - Moyens
            Personnel
                    Chef de mission : Marc Guillaume,
                    Equipage du Sandy Seas : Patrice Duperray.
                    GRAN : Max Guérout, François Mariaux, Marc Guillaume, Joe Guesnon.
                    DRSM (Détection et Recherche Sous-Marine) : Hervé Blanchet.
            Matériel
                    Le cabin cruiser Sandy Seas, a été utilisé comme bâtiment base.
                    Le magnétomètre utilisé est un magnétomètre SMM II de Thomson-Marconi-Sonar utilisé avec un dépresseur (aile plongeante) Endeco.
                    Moyen de navigation : GPS différentiel Trimble.
                    Traitement de l’information : Ordinateur Toshiba Tecra 510 CDT et logiciel d’hydrographie Hypack de Coastal Oceanographics ainsi que le logiciel Surfer pour la misse en forme des informations.

    7 - Réalisation de la recherche

            La zone n°1 mesure 1 050 m du Nord au Sud et 250 m de large. Elle a été parcourue par une série de 29 passes d'orientation Nord-Sud espacées de 9 m en moyenne, puis par une dizaine de passes de localisation, plus courtes.
            La zone n°2 située au nord ouest de la précédente mesure 612 m dans le sens Nord Sud et 100 m dans le sens Ouest Est. Neuf passes d'exploration écartées de 9 m ont été effectuées dans le sens Nord Sud.

            Au total 175 km de profils utiles ont été parcourus permettant de couvrir une zone de 75 hectares. Cinquante six anomalies ont été enregistrées manuellement.

    8 – Résultats

            La restitution des mesures enregistrées fait bien apparaître les anomalies d’origine géologiques qui se trouvent dans la zone, elles donnent au paysage magnétique un aspect chaotique, dû à la présence simultanée de failles et de sédiments ferreux (barytine, pyrites) ou magnétiques (magnétite). La restitution du champ magnétique permet de mettre en évidence la présence probable d’une faille caractérisée par une succession de pics magnétiques, qui traverse la zone avec une orientation NNW/SSE, passant par le point : Lat. 14° 44’,800 N – Long. 60° 57’,522 W. Elle pourrait prolonger la faille qui passe par l’ancienne sucrerie du Galion et longe avec la même orientation le fond de la Baie du Galion vers le havre de Trinité.
            La comparaison du relevé des sondes et du champ magnétique effectués dans la zone apporte une réponse à l’une de nos interrogations. Nous avions observé par le passé de fortes anomalies magnétiques sur certains bancs de corail, qui sont uniquement constitués de calcaire et donc en principe, non magnétiques. On constate ici que le banc de corail appelé Loup Fort situé dans le NW de la zone, ne génère aucune anomalie magnétique. On peut donc considérer que seuls les bancs de corail prenant assise sur un substrat présentant un magnétisme rémanent sont susceptibles de coïncider avec une anomalie magnétique.
            Les anomalies remarquables trouvées dans la zone sont les suivantes.
                  SY 1 - Lat. 14° 44',560 N - Long. 60° 57',492 W
                    Cette anomalie qui a donné lieu à 6 passes N-S sur une largeur de 45 m avait les caractéristiques d'un objet isolé. Nous avons obtenu un signal bipolaire équilibré de 400 nt pour une distance de passage de 8,5 m, la valeur de l’anomalie est plus grande que celle donnée habituellement par une très grosse ancre.
                    L’intervention des plongeurs a permis de reconnaître une ancre en position verticale dont seuls émergeaient le sommet de la culasse et une partie de l’organeau. Les mesures effectuées ultérieurement ont permis d’évaluer le poids de l’ancre à environ 1900 kg pour une longueur d’environ 4,5 m. La position verticale de l’ancre explique sans doute un signal fort et ponctuel, la masse métallique se trouvant, vue du magnétomètre, concentrée en un seul point. L’orientation du signal laisse cependant penser à une orientation des pattes de l’ancre suivant un axe 330/150, ce que confirme l’orientation de l’organeau au 60/240.

                  SY 2 - Lat. 14° 44',618 N - Long. 60° 57',484 W
                    Cette anomalie a donné lieu à 6 passes espacées de 9 m sur une largeur de 45 m, elle avait les caractéristiques d’un objet isolé. Nous avons mesuré une anomalie de 220 nt pour une distance de passage estimée de 10,3 m. Les plongées de vérification ont permis de retrouver par piquetage un rouleau de câble d’acier en spires superposées à environ 50 cm sous la surface du fond. La valeur de l’anomalie suppose une masse métallique plus importante qui n’a pas été localisée par piquetage.

                  SY 3 - Lat. 16° 44',493 N - Long. 60° 57',521W
                    Cette anomalie a été décelée pendant une série de passes effectuées au sud de la zone de recherche principale. L'intensité maximale relevée est de 100 nt pour une distance de passage estimée de 8 m. L'anomalie est bipolaire avec une prédominance positive. Une petite masse de fer localisée par piquetage à 80 cm de profondeur ne permet pas de rendre compte de l’anomalie relevée.

                  SY 4 - Lat. 14° 44',567 N - Long. 60° 57',445 W,  donnant une anomalie magnétique de l'ordre de 55 nt pour une distance de passage estimée de 9 m. et SY 5 - Lat. 14° 44',587 N - Long. 60° 57',444 W avec une anomalie magnétique supérieure à 55 nt pour une distance de passage de 9m.se succèdent lors des passes N/S qui ont été effectuées. Ces anomalies ne sont pas caractérisées par un signal ayant un fort gradian. Il s’agit d’anomalies à la limite entre l’anomalie d’origine géologique et celle générée par un petit objet. Les sondages à la pique n’ont mis en évidence aucun objet métallique significatif.

                  SY 6 - Lat.14° 44',455 N - Long. 60° 57',491 W. Trois passes ont été effectuées et ont permis de relever une anomalie maximale de 40 nt pour une distance de passage de 7 m. Une circulaire effectuée avec piquetage n’a pas permis de trouver de masses métalliques expliquant cette anomalie.

    9 – Conclusions

            L’envasement de la Baie de Trinité qui justifiait le recours à une recherche magnétométrique s’est révélé plus important que nous ne le pensions et de ce fait ne nous a pas permis de vérifier, à une exception près, la présence des objets se trouvant à l’origine des anomalies magnétiques détectées. Il est très encourageant que dans un contexte géologique aussi perturbé, nous ayons réussit grâce à une couverture systématique de la zone et à une restitution de son champ magnétique global, à déceler trois anomalies importantes et trois autres moins d’interprétation moins évidente.

            Le travail de sondage effectué par la suite n’a pas permis de conclure à la présence d’une épave qui aurait été marquée par la présence de l’ancre trouvée en SY 1, nous réfléchissons aux méthodes qui nous permettrait de conclure sur ce point particulier, comme d’explorer plus avant les autres anomalies.

    Paris, le 6 mars 2000
    Rédacteur : Max Guérout