Datation et origine de l'Epave
Le GRAN


1 - Les données archéologiques

L'essentiel des données concernant la datation de l'épave reposait au départ sur l'étude de huit pièces de monnaies et de trois jetons de compte trouvés sur le site.

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- Lira milanaise
- Ecu de France
- Ecu de France
- Teston milanais
- Cornuto du marquisat de Casale Monferrat
- Aquile du royaume de Sicile

  - Florin de la république de Florence
- Parpaïole du duché de Savoie
- Jeton de compte de Nuremberg
- Jeton de compte de Nuremberg
- Jeton de compte de Nuremberg
- Quarto du duché de Savoie.

Jeton de compte de
Nuremberg
Lira Milanaise A gauche : Ecu de France
A droite : Ecu de Dauphiné

Le tableau n°1 indique les périodes de frappe des pièces de monnaie et permet de définir ce que les archéologues nomment le " terminus post quem " (date de la première frappe de la monnaie la plus récente, avant laquelle le naufrage n'a pas pu se produire). Il est ici de 1503 et il nous est fourni par la première frappe de la parpaïole et du Quarto.

  Cette date est confortée par l'étude d'une coupe de Majolique attribuée à un atelier de Montelupo en Toscane, dont l'aile porte un décor identique à celui d'une autre coupe portant en son centre les armes du pape Jules II et au dos la date de 1509.

Ci à gauche :

La coupe de majolique de Montelupo

Archaeonautica n°9, p.127, fig.79
 
  De gauche à droite :

cruche ligure à décor incisé polychrome et deux cruches génoises de majolique, celle de droite est décorée aux armes des Fregoso

Archaeonautica n°9, p.127, fig.80

La découverte sur le site de très nombreux noyaux de pêche permet aussi de situer la perte du bâtiment vers la fin de l'été, saison où les variétés de l'époque arrivaient à maturité.

Tableau n°1

Origine du navire
L'examen des données archéologiques doit être fait avec beaucoup de prudence, car il faut distinguer entre la structure du bâtiment et le matériel fixe d'armement caractéristiques du lieu de construction ; la cargaison et le lest ; le matériel mobile d'armement ; les effets personnels de l'équipage et des passagers dont la provenance est différente.

Analyse des bois de construction
La construction du bâtiment s'inscrit dans une tradition méditerranéenne.
Les essences de bois employées pour la construction sont : le chêne à feuilles caduques, le hêtre, le noyer, l'orme, le peuplier, le pin d'Alep, le pin maritime, le pin pignon, le pin sylvestre.
On a tenté, en superposant les aires de végétations de ces différentes essences (zones géographiques où poussent ces arbres), de trouver les zones les plus probables de construction : celles où le plus grand nombre d'essences étaient présentes. Cette approche met la région de Gênes en tête devant celle de Barcelone.

- Cliquez ici pour voir la carte de répartition des différentes essences -

Analyse du lest
Le lest du navire était constitué de galets de rivière de différentes grosseurs répartis dans les différentes cales. L'analyse de ces pierres de lest a été confiée au laboratoire de géologie sédimentaire et structurale de l'Université de Nancy I.
La conclusion a été la suivante : partant sur les hypothèses que les galets étudiés constituent un échantillonnage représentatif et qu'ils proviennent d'une source unique, sans apports secondaires, il est raisonnable d'envisager que le lest a été prélevé sur une plage du golfe de Gênes, entre Savone à l'Ouest et Livourne à l'Est.

Effets personnels et matériel mobile d'armement
On a rassemblé sur une carte les lieux d'origine des objets dont la provenance a pu être identifiée. La zone géographique qui englobe tous ces lieux se limite à un triangle dont les sommets sont Madrid (poids de quatre onces de Castille), Nuremberg (jetons de compte), Palerme (Aquile de Ferdinand d'Aragon). Il faut ajouter à cette liste deux objets dont l'origine n'est pas connue avec précision : un " boccale " de majolique portant les armes de la famille Fregoso et un fragment de crosse d'arquebuse portant le même motif héraldique gravé au couteau. Or cette famille a donné de nombreux doges à la ville de Gênes, ce qui explique que son blason : "D'argent au chef enté en onde de sable puisse être surmonté des armes de la ville : croix rouge sur fond blanc".

- Cliquez ici pour voir la carte des lieux d'origine des objets retrouvés -

2 - Données historiques

La comparaison de plusieurs documents imprimés ou manuscrits avec les données archéologiques nous a permis d'identifier l'épave de Villefranche.
Après Honorat de Valbelles qui, dans son Histoire journalière des années 1498-1539, mentionne le naufrage d'une nave génoise en rade de Villefranche en 1516 (l'abbé Pietro Gioffredo dans sa Storia delle Alpi marittime, publiée en 1839), cite le témoignage du niçois Ludovic Revelli :

"Vers midi, le 15 septembre 1516, lendemain de la fête de la Sainte Croix, 19e jour depuis la nouvelle lune d'août, il y eut une horrible tempête, destruction d'une grande quantité d'arbres et naufrages divers dans le port d'Hercule [Villefranche]. Cette tempête faisait s'écrouler les toits, les maisons, les tours et les églises emportant les portes et les tuiles, déracinant dans la région de Nice les arbres de toutes les espèces et faisant d'autres choses encore étonnantes à dire ; et elle dura seulement l'espace d'une demie heure"…

Parmi les autres navires et bâtiments qui firent alors naufrage en ces mers, je relève qu'il s'est perdu un navire de Génois ; les choses qu'il contenait ayant été en partie récupérées par les Niçois, des lettres furent écrites le 8 octobre par Ottaviano Fregoso…"au gouverneur et aux syndics de Nice pour leur restitution".
De son côte Antonio de Beatis, dans son journal de Voyage du Cardinal d'Aragon qui sera imprimé et publié en 1893, écrit à la date du 30 novembre 1517 :

"A un mille de Nice se trouve Villefranche, également à M. de Savoie, qui compte peu de maisons mais un beau et fameux port, où les navires sont en toute sécurité, et si profond que les bateaux peuvent s'approcher tout contre la montagne, si gros qu'ils soient. Pourtant il y a deux ans une grosse nave de Génois qui allait en course, très bien équipée en artillerie, avec plus de trois cents hommes, a sombré dans ledit port avec tous lesdits hommes, et on voit encore la hune du grand mât qui sort de l'eau de deux cannes environ...".

Enfin, un document manuscrit retrouvé aux Archivio di Sato de Gênes, une délibération du Conseil des Anciens datée du 20 septembre 1516, concerne :

"La récupération de la nave Lomellina et de l'artillerie coulées par un très fort coup de vent dans le port de Villefranche".

Le tableau n°2 compare les données archéologiques et les détails mentionnés dans ces textes.

-- Valbelle Gioffredo De Beatis Données archéologiques
Date Septembre 1516 15 septembre 1516
vers midi
1515 ( ?)   Après 1503 à la fin de l'été
Origine Genovés Genovesi Genuesi   Gênes : céramiques, lest, bois
Type Nau Nave Nave grosso   Gros navire rond ayant les caractéristiques des navi génoises
Chargement Armement - - Très bien fournie d'artillerie   Artillerie nombreuse et roues d'affûts terrestres
Equipage - - 300 hommes   -
Pertes 100 hommes - Tous   Ossements humains
Lieu du naufrage Villefranche Portus Herculis Villafrancha dentro dicto porte   En rade de Villefranche
Nom cité - Ottaviano Fregoso -   Armes de la famille Fregoso sur une cruche et une crosse d'arquebuse.
Circonstances - - Chavirage sous voile,
la hune émerge de l'eau
  Navire coulé par 18 m incliné de 50° sur tribord, impliquent un dépassement de la hune.
Tableau n°2

Il conduit à identifier presque certainement l'épave de Villefranche comme étant la Lomellina.

© Max Guérout