Les barriques de la Lomellina
Le GRAN


LES BARRIQUES DE L'EPAVE DE VILLEFRANCHE S/MER (1516 ?)

Les campagnes de fouilles qui se sont succédées ont permis de mettre au jour un abondant matériel archéologique parmi lequel un ensemble de 15 barriques1 . Leur bon état de conservation général a milité pour la réalisation d'une étude spécifique2 au même titre que l'artillerie et le gréement du bâtiment, et d'entreprendre une réflexion sur le mode de construction et le rôle de ces conteneurs aussi intimement liés à l'histoire de la navigation que mal connus.

Les barriques apparaissent en effet comme des objet essentiels du commerce dans le passé. La cargaison de 196 barriques destinées au transport de l´huile de baleines retrouvées dans l'épave du navire de Red Bay (Canada) coulé en 1565 en est une bonne illustration. Mais au delà du transport de produits de commerce, la barrique pparaît très tôt comme un élément vital pour la navigation et en particulier pour la vie quotidienne à bord. Les barriques de Villefranche en sont à ce titre un bon exemple.

Deux types de tonneaux ont été retrouvés dans l'épave : en premier lieu ce sont 15 barriques dont le volume est supérieur à 350 litres, et dont la plupart étaient vraisemblablement destinées à contenir des liquides. Ce sont ensuite les restes de 21 tonnelets de poudre qui ont été découverts à l'avant de l'épave. Ce sont les résultats de l'étude des barriques de grand module que nous que nous présentons succinctement ici.

METHODE DE FOUILLE EMPLOYEES

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- Démontage des barriques sur le fond -

A mesure que les barriques ont été mises au jour, elles ont reçu un numéro d'inventaire. Dans leur majorité, celles-ci étaient orientées dans l'axe longitudinal de l'épave. Leur positionnement a été relevé par une série de croquis, puis de dessins réalisés à l'échelle permettant de localiser précisément chacune d'elles dans l'épave ; leurs éléments constitutifs ont été numérotés en conservant - dans la mesure du possible - l'ordre des douves.
L'étude des éléments constitutifs de chacune des barriques a rendu nécessaire un délicat et minutieux travail qui a consisté à démonter chacune d'entre elles sur le fond, et a en porter les élément constitutifs à l'extérieur de l'épave, en respectant leur orientation originale. De cette façon, il a été possible d'étudier en détail chaque élément, d'en relever les mesures et les caractéristiques. Les fonds, quant à eux, ont été ramenés à la surface pour procéder au relevé de leurs mesures, de la position du chevillage des pièces et au relevé des marques.
Les informations recueillies ont donné lieu à la réalisation d'une fiche signalétique par barrique où a été consigné caractéristiques, photos et dessins la concernant.

LA LOCALISATION ET L'ORIENTATION DES BARRIQUES

Les barriques ont été mises au jour sur le côté bâbord de l'épave à l'avant de la position initiale du grand mât, sous le premier pont. Elles se répartissent sur 2 niveaux superposés :
Au niveau supérieur, 5 barriques relativement dégradées ont été dégagées. Leurs éléments constitutifs étaient parfois mélangés.
Au niveau inférieur, 10 barriques se trouvant pour la plupart dans un bon état de conservation ont été mises au jour au niveau inférieur.

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- Barriques situées au niveau inférieur sous le faux pont -

L'épave s'étant couchée à 45° sur son flanc bâbord, il apparaît clairement que les barriques ont naturellement “roulé” depuis le centre du bâtiment jusqu'à la parois du navire. On peut affirmer aujourd'hui qu'elles étaient entreposées de façon à ce que leur axe longitudinal corresponde à celui de l'axe du navire. Cette constatation corrobore les observations effectuées sur d'autres épaves (épave de Red Bay, 1565 et d'autres épaves plus récentes), confirmant que ce mode de positionnement n'a donc guère changé dans le temps.



CARACTERISTIQUES DES BARRIQUES

L'étude des éléments constitutifs de chaque barrique avait pour finalité non seulement de rendre compte de leurs caractéristiques et des méthodes de employées pour les construire, mais aussi de mettre en évidence les mesures permettant de restituer leurs capacités volumétriques afin de tenter de les inscrire dans une typologie.

En résumé, voilà ce que nos observations ont permis de mettre en lumière :

Les douves et les fonds :
Les éléments constitutifs, douves et pièces de fond ont été construits selon des méthodes et avec des outils probablement assez proches de ceux encore en usage aujourd'hui. Hormis une d'entre elles fabriquée en chêne, les barriques de Villefranche sont toutes construites en châtaigner, essence -avec le chêne- traditionnelle de la tonnellerie.
On note que le bois est taillé de façon assez sommaire, que les fonds sont assemblés par un système de chevilles rectangulaires assez rudimentaire. Plusieurs indices (notamment la présence de trous de cheville orphelins) rendent probable l'utilisation de pièces de réemploi.
L'hétérogénéité de la taille des pièces de bois employée dans la confection des fonds et des douves est également de mise. La présence d'un calfatage entre les douves d'une barrique a encore été relevé et témoigne de problèmes d'étanchéité.

- Marques sur la barrique A.71 -

Les marques :
Quatre type de marques ont été retrouvées gravées sur plusieurs fonds. Leur étude basée sur les travaux de Brad Loewen3 permet d'affirmer aujourd'hui qu'il s'agit de marques de fabricants. Deux d'entre elles qui présentent la forme d'un A gothique et d'un X sont similaires à des marques employées par des fabricants de Bordeaux au XVIème siècle. On sait encore aujourd'hui que ces marques correspondent à des symboles caractérisant des outils de tonneliers, et non à des caractères alphabétiques (réservés en général aux commerçants qui étaient alphabétisés, alors que les fabricants ne l'étaient en général pas).

Les cerclages :
Ils étaient constitués de bois refendu de chêne, de noisetier ou encore de frêne. Il se composait de 2 groupes de 11 à 18 cercles chacun, placés de part et d'autre des barriques. La ligature des cercles était faite majoritairement à l'aide de brins d'aulne (osier).

Deux types de ligatures ont été mis en évidence :
Le premier, exécuté dans les règles de l'art selon une technique qui est décrite dans les traités de construction consiste en deux ou trois ligatures placées dans des encoches qui ont été préalablement effectuées au niveau de la jonction des extrémités du cercle qui ont été préalablement dégrossies pour permettre leur juxtaposition. Le deuxième type est, quant à lui, beaucoup plus archaïque et consiste tout simplement en la pose d'une ligature aux extrémités du cercle après un dégrossissage du cercle.

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- Ligature grossière ( A.229) -   - Ligature élaborée ( A.71) -

Les mesures :
La longueur moyenne des douves est légèrement supérieure à un mètre et leur épaisseur de l'ordre de 2 cm. Le diamètre du vaisseau au bouge était un peu inférieur à 80 cm en moyenne et de l'ordre de 70 cm aux extrémités, mesure corroborée par la mesure des diamètres des fonds.
Ces mesures font apparaître une faible standardisation des barriques. La longueur des douves présente des variations allant jusqu'à 15 cm entre la plus grande et la plus petite barrique, à l'instar des diamètres des fonds dont les différences vont jusqu'à 10 cm. L'hétérogénéité de ces mesures a pour effet une grande disparité des volumes et montre que les barriques de Villefranche ne s'inscrivent pas dans une typologie volumétrique.

Restitution des volumes :
Ce qui précède a été mis en évidence par l'étude des volumes que nous avons réalisée. Celle-ci a été rendue possible par l'introduction des valeurs des mesures observées dans les équations mathématiques existantes pour restituer les volumes de 10 barriques (nous avons utilisés 6 équations). Les résultats de ces travaux montrent que les volumes de nos barriques varient entre 366 et plus de 579 litres et qu'aucune typologie de contenance ne peut être mise en évidence :

  - Entre 366 et 385 litres : 3 barriques
- Entre 422 et 461 litres : 4 barriques
- Supérieur à 500 litres (514 à 579) : 3 barriques

Les contenus :
La présence de jables aux deux extrémités des douves de toutes les barriques, la présence de bondes sur les fonds et les douves ainsi que le chevillage des fonds ne laissent aucun doute sur la nature liquide des contenus. Une barrique cependant (la plus grande, nºA.228), la seule dont les fonds n'étaient pas chevillés a dû être utilisée pour conserver des aliments.
Aucune trace des contenus des barriques n'a été retrouvée hormis pour une d'entre-elles qui se trouvait un peu en marge du reste du groupe. Cette barrique (nº A.71) était remplie d'une matière blanche et meuble dont l'analyse a révélé qu'il s'agissait d'hydroxyde de magnésium presque pur. La matière qui a été identifiée et qui porte le nom courant de brucite est le produit de la décomposition de la serpentine dont on trouve des lieux d'extraction en Ligurie ou en Sardaigne.
L'usage de ce produit reste incertain. Il pourrait s'agir d'un produit à usage médicinal (la magnésie). Il apparaît encore que la brucite peut rentrer dans la composition des ciments liant les briques réfractaires. Il pourrait alors s'agir, dans cette hypothèse, d'une provision de brucite utilisée pour la réparation du four du bord. Enfin, une dernière hypothèse serait l'utilisation de ce produit pour décanter les fût dont les tanins du châtaignier laissaient aux aliments et aux liquides un très mauvais goût.
Un autre aspect intéressant à souligner est le fait que la brucite a été caractérisée, décrite et isolée comme un produit particulier par Bruce (d'où son nom) au début du XIXème siècle. La découverte d'une barrique pleine de ce produit indique donc que son emploi pur, et en grandes quantité était déjà une réalité deux siècles plus tôt. Il reste encore à découvrir sous quel nom ce produit était alors utilisé.

CONCLUSION

Les principes de construction que nous avons observés semblent avoir peu évolué dans le temps : Les techniques et outils décrits et illustrés par les différents traités de construction depuis le XVIIIème siècle à nos jours le confirment4 . De fait, il apparaît que les tonneaux retrouvés à bord de l'épave de Villefranche ont été construits selon des méthodes assez proches et probablement avec des outils similaires à ceux employée à l'époque moderne.

Une deuxième observation importante est que l'étude des barriques de Villefranche montre que nous avons à faire à un ensemble assez peu homogène ne marquant pas de la part de leurs fabricants un souci de standardisation.

La disparité des volumes, la disparité des mesures, et en particulier l'absence de souci d'une unicité des mesures des diamètres de fond, l'absence de barrage de ces derniers, l'archaïsme de certaines ligatures, le mélange des essences que l'on retrouve au niveau du corps d'une des barriques, au niveau du cerclage et encore au niveau des chevilles employées, sont autant d'éléments qui tendent à montrer que les barriques de Villefranche n'ont pas été construites de façon standardisée comme le faisaient à l'époque les grands ateliers de Bordeaux, par exemple.

A Villefranche nous avons probablement à faire à des barriques d'un type assez artisanal destinées principalement à l'alimentation en eau et en nourriture de l'équipage, et dans cette mesure, on peut avancer l'hypothèse que la rigueur apportées aux dimensions et contenances de ces barriques avait moins d'importance que dans les cas de celle du SAN JUAN dont elles constituaient la cargaison exclusive dans le but du stockage de l'huile de baleine. A cet égard la rigueur des mesures observées sur les barriques de Red Bay répondait sûrement à une nécessité pratique et commerciale qui n'existait pas dans le cas du navire de Villefranche.

Pour finir, insistons sur l'importance de la tonnellerie pour l'archéologie navale et aussi pour l'histoire sociale, économique et maritime. Malheureusement, comme nous l'avons souligné, les études réalisées à ce jour sur ces conteneurs si essentiels pour la navigation et le commerce des siècles passés sont peu nombreux. Nos travaux nous ont montré cependant que leur étude permet d'ouvrir différents champs de réflexion et non seulement d'améliorer notre connaissance de cette activité originale qu'est la tonnellerie, mais aussi celle de la navigation, de l'organisation de la vie à bord et finalement sur le commerce maritime des siècles passés.

© Arnaud Cazenave de la Roche