Les céramiques à usage militaire
Le GRAN


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- Fig. 11 -
Photo : Christian Petron
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- Fig. 12 -
Photo : Christian Petron
Les pots à feu et les grenades incendiaires

 

Parmi les armes mises au jour figurent divers types de projectiles incendiaires généralement en terre cuite.

Les pots les plus grands se présentent comme de petites amphores (possédant deux anses) à fond plat, en terre cuite mesurant 30 cm de hauteur et ayant un diamètre à la panse de 18 cm (fig.12). Le goulot d'un diamètre extérieur de 6 cm mesure 11 cm de hauteur comporte à sa base deux petites anses circulaires. La panse de couleur gris noir porte des traces de tournage La partie supérieure du goulot porte encore la trace d'un enduit de cire. Les anses sont petites et ne paraissent pas conçues pour être saisies à la main. L'intérieur contenait encore un résidu de poudre de charbon de bois. Il s'agit probablement d'un projectile incendiaire cacheté à la cire qui comportait une mèche de mise de feu.
Le poids et l'encombrement du projectile excluent qu'il puisse être lancé à la main à moins qu'il ne soit destiné à être lâché depuis l'extrémité d'une vergue ou plus sûrement d'une hune.

Ce type de projectile n'est pas mentionné explicitement dans les inventaires que nous avons consulté, mais il en est fait mention dans les nombreux traités ou mémoires datés de la deuxième moitié du XVIème siècle et du début du XVIIème consacrés à l'artillerie et aux artifices sous le nom de pots à feu ou firepots. (Ufano, 1614, p.144), (Collado, 1592, p.83), (Boillot, 1603, p.150), (Cataneo, 1571, p.25), etc...
Ces pots étaient utilisés soit comme projectiles incendiaires soit comme projectiles explosifs, lancés à la main depuis un point haut : hune, château ou à l'aide d'une fronde. Les compositions pyrotechniques utilisées dont les composants principaux sont la poudre à canon, le salpêtre et le soufre, sont extrêmement variées. Nous citerons à titre d'exemple celle indiquée par Diego Ufano : poudre à canon, 8 onces; soufre, 8 onces; salpêtre, 8 onces; sel d'ammoniac, 8 onces; camphre, 2 onces; sel commun une poignée, le tout mélangé avec de la poix liquide ou de l'huile de pétrole ou de l'huile de lin. Pour faire un projectile explosif on y ajoute des dés de fer et des balles de plomb et une amorce introduite dans l'ouverture. Les petites anses sont utilisées pour y attacher les mèches destinées à la mise à feu. Une référence archéologique de ce type de pot à feu munis d'anses (bien que de dimensions plus réduites) nous est fournie par la fouille de l'épave du San Antonio de Tanna trouvée près de Mombassa (Piercy, 1977, 346).

Balles à main, pignatta, alcancias



D'autres projectiles ont été retrouvés en assez grand nombre, au total près d'une centaine, entiers ou fragmentés. Leurs dimensions et leur poids en font de véritables armes de jet individuelles. Ils se répartissent en quatre types différents :
Les premiers sont simplement des pommes de pin pignon évidées, distinctes des nombreuses pommes de pin pignon retrouvées entières et sans doutes destinées à la fois à la consommation des pignons et à l'allumage du feu. Ces pommes de pin évidées étaient probablement aussi remplies de poudre et cachetées à la cire. Dans les inventaires de certaines “naves”, le terme de pignatta désigne les projectiles incendiaires du type grenade, mais dans la langue courante, pigna désigne précisément la pomme de pin. Ces dernières représentent sans aucun doute les grenades incendiaires les plus primitives.
Les autres projectiles sont des pots en terre cuite de trois types qui diffèrent moins par leur taille et leur contenance que par la forme de leur ouverture. Leurs formes ne sont pas exactement standardisées, ils mesurent entre 10 et 11 cm de haut avec un diamètre au niveau de la panse de 11 cm, le diamètre du pied varie quant à lui entre 6 et 8 cm.

- Le type 1 (fig.11) a un goulot droit ou très légèrement évasé d'un diamètre extérieur de 36 mm, on trouve parfois des traces de cire sur toute la surface extérieure. Ce type de pot à une forme qui rappelle la forme de la grenade, le fruit du grenadier, et on peut penser que cette similitude de forme illustre l'étymologie du mot grenade dans son acception militaire. Seuls des pots de ce type ont été retrouvés contenant encore une poudre noire qui s'est révélée à l'analyse être du charbon de bois.
- Le type 2 a une ouverture dont les bords extérieurs sont droits, qui mesure 52 mm de diamètre extérieur.
- Le type 3 a une ouverture évasée dont le diamètre extérieur est d'environ 60 mm.

Le type 1 correspond aux balles à main (Ufano, 1614), alcancias (Collado, 1592), pignates de feu : “cent et dix pignates à feu” dans “Etat des meubles de la nef du Roy appelée la Marguerite” (Archives des Bouches-du-Rhône, B 1260 f°385) , pigniatte di fuoco : “pigniatte di fuoco quaranta” dans l'inventaire d'une galère de Andrea Doria (Borghesi, 1970, p.191), pignatta artificiata (Gentilini, 1598), projectiles incendiaires cités par de nombreux auteurs et embarqués en grand nombre. Diego Ufano distingue d'ailleurs les pots à feu des balles à main et un inventaire d'un navire du Duc de Bourgogne daté de 1436 parle de : “petits pots de terre ronds à mettre pouldre et croye pour gicter a combattre sur vaisseaulx de mer” (Paviot, 1995, p.301). Les compositions pyrotechniques sont identiques à celles des pots à feu. Une référence archéologique des alcancias nous est fournie par la fouille de la Trinidad Valencera (Martin, 1994, p.208).

Les deux autres types correspondent à des projectiles évoqués après Végèce par Eustache Lemoine en 1216 et pouvant être remplis de chaux vive “pots de terre à mettre chaux vive” (Paviot, 1995), de savon vert ou d'autres produits destinés à gêner l'adversaire et dont l'usage remonte à l'Antiquité. “Hannibal fict enfermer une grande quantité de pots de terre, de grands serpents venimeux, bien enclos, desquels il se servit aux assaults qu'il eut sur la mer.” (Boillot, 1603, p.150). La différence de forme pouvant être à la fois un moyen pour différencier les types de grenades et d'en faciliter l'identification, mais aussi destinée à permettre un meilleur remplissage des différents produits. Dans ces conditions on pourrait avancer l'hypothèse que le type 3 était plutôt destiné à la chaux vive dont la manipulation délicate pouvait être facilitée par une ouverture plus large et un goulot en forme d'entonnoir.

  : Ce texte s'est largement inspiré des deux catalogues :
Un goût d'Italie, ouvrage collectif, catalogue de l'exposition Argilla 93 à Aubagne.
Vingt mille pots sous les mers, Henri Amouric, Florence Richez, Lucy Vallauri, catalogue de l'exposition du Musée d'Istres.(27 mai- 28 novembre 1999) dont la plupart des illustrations sont tirées,
  et du Mémoire de Maîtrise de G. Thirion, La céramique de l'épave de Villefranche-Sur-Mer, Université Aix-Marseille 1, 1987.

: Notes bibliographiques :
- 1571.
Cataneo, Girolamo, Dell'arte militare .........con l'essamini de bombardieri, Brescia.
- 1592.
Collado, Luys, Platica manual de Artilleria, Milan.
- 1598.
Gentilini, E., Instruttioni di artiglieri, Venise.
- 1603.
Boillot, Joseph, Artifices de feu et divers instruments de guerre, Strasbourg.
- 1614.
Ufano, Diego, Artillerie, Francfort.
- 1893
A d'Albertis, Le costruzioni navali e l'arte nautica ai tempi di Colombo, Roma.
- 1970
M.Calegari, Navi e barche tra il XV e il XVI secolo, in Miscellellanea storica ligure, Guerra e commercio nell'evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo, Genova, pp.13-55.
V.Borghezzi, M.Calegari, La nave Bertorota (1547-1561), in Guerra e commercio.nell'evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo, Genova, pp. 95-116.
V. Borghezzi, Informazioni sulle galee di Andrea Doria nelle Carte Strozziane (1552), in Miscellellanea storica ligure, Guerra e commercio nell'evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo, Genova pp. 117-206.
- 1975
L.Gatti, Costruzioni navali in Liguria fra XV e XVI secolo, in Studi di storia navale, Firenze, pp.25-72.
- 1977
R. C. M. Piercy, Mombassa wreck excavation : preliminary report, in IJNA (1977), 22 : 257-265.
- 1990.
M.Guérout, E.Rieth, J.M.Gassend, Le navire gênois de Villefranche. Un naufrage de 1516?, ARCHEONAUTICA, 9, Editions du CNRS, Paris, 165 pages.
- 1991
P. Campodonico, Navi e marinai genovesi nell'età di Cristoforo Colombo, Genova, 190 pages.
- 1994.
Colin J.M. Martin, Incendiary weapons from the Spanish Armada wreck La Trinidad Valencera, 1588.in IJNA (1994) 23.3 : 207-217.
- 1995.
J. Paviot, La politique navale du Duc de Bourgogne, 1384-1482, Lille.

© Max Guérout