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OBJECTIF DE RECHERCHE ARCHÉOLOGIQUE

Il est fort probable que la découverte de l'une des deux épaves nous permettra de trouver la seconde, nous donnant une remarquable opportunité de comparer des méthodes de construction en usage des deux côtés de la Manche. Ces deux traditions de construction navale sont à la fois géographiquement proches et différentes par bien des points. L'écart chronologique entre la construction des deux bâtiments est relativement faible. Le Regent a été construit à Portsmouth, en 1486, et la Cordelière, de 1496 à 1498, à Morlaix. Mais alors qu'en France la construction à franc-bord, à carvelle comme on disait alors, est déjà la règle pour les grands bâtiments, il n'en est pas de même en Angleterre.

La construction à franc-bord consiste à assembler bord à bord les planches qui constituent le revêtement externe de la coque qu 'en construction navale on appelle bordé. C'est au cours des dernières décennies du XVème siècle et au tout début du XVIème siècle que s'opère en Angleterre le passage de la construction à clin traditionnelle à la construction à franc-bord. La construction à clin consiste à assembler les planches de bordé qui constituent la coque de manière à ce qu'elles se recouvrent l'une l'autre. Ainsi comme l'a confirmé l'étude de l'épave présumée du Sovereign, qui participa lui aussi au combat, le bâtiment fut construit à clin en 1488 et reconstruit à franc-bord en 1509.
A la même date, la Mary Rose, qui arbore sous la pointe Saint-Mathieu la marque de Sir Edward Howard, fut construite à clin et ne fut transformée qu'en 1536. Le Regent, quant à lui, a sans doute été construit à franc-bord, comme semble le montrer son inventaire, mais nous n'en sommes pas certains. Comme dans toutes les périodes de transition, le passage ne s'effectue pas brutalement et pendant un temps, cohabitent des navires construits selon les anciennes et les nouvelles méthodes. Le rôle des français dans cette évolution reste à étudier en détail, on sait cependant que le Regent eut pour modèle une nef construite en 1470 à Honfleur : la Colombe (ou la Coulon), appartenant à Guillaume de Cazenove, dit Coulon ou Colomb, Vice-amiral de France sous Louis XI et Charles VIII, et aussi le Great Michel, qui fut construit à Newhaven, en Ecosse, entre 1505 et 1511, par Jacques Terrel, un maître constructeur français.

Avec le passage du clin au franc-bord, l'enjeu n'est pas seulement le choix d'un type de construction qui convient mieux aux navires de fort tonnage, mais aussi la possibilité d'introduire une autre innovation : le sabord d'artillerie. Le problème était de savoir comment pratiquer une ouverture dans la muraille, qui soit utilisable à tout instant en haute mer, sans compromettre ni l'étanchéité de la coque, ni sa solidité. La construction à clin rendait cette réalisation problématique, mais le franc bord permettait de parvenir plus facilement au résultat recherché, en particulier parce que la coque était alors renforcée par les membrures. L'apparition du sabord en batterie marque aussi une étape décisive dans l'histoire de la construction navale puisqu'elle amorce une évolution structurelle irréversible qui entraînera la spécialisation des navires de guerre et des navires de commerce, mettant fin à l'utilisation indifférenciée des navires pour ces deux types d'activités. Les historiens maritimes avancent, il est vrai sans beaucoup de preuves, que le sabord fut inventé par le Brestois Descharge vers 1500. Peut-être avons-nous là l'occasion d'apporter quelques lumières sur cette innovation? 

Avec le sabord apparaît aussi la possibilité, en abaissant le centre de gravité du bâtiment, de mettre en batterie une artillerie plus fournie tirant désormais autrement que par-dessus les pavois ou au travers. Sur les navires royaux, le bronze domine la composition de l'artillerie principale. Nous connaissions les caractéristiques de cette artillerie embarquée à l'époque de Louis XII, même si les artilleries terrestre et navale étaient encore indifférenciées. Les inventaires contemporains de l'Arsenal de Marseille citent abondamment les pièces portant l'emblème royal, le Porc épic ou le L couronné, semblables aux quelques exemplaires conservés au Musée de l'Armée à Paris. Les recommandations concernant l'armement des nefs, contenues dans le manuscrit de Conflans (Jal, 1842) pourront sans doute être utilement comparées aux observations effectuées sur l'épave de la Cordelière. Cette comparaison est d'autant plus pertinente que l'expérience d'Antoine de Conflans a été acquise au cours de divers commandements,dont celui de la Rose qui participait au combat du 10 août, et que son ouvrage est daté de 1516.
Le Regent, quant à lui, semble avoir une artillerie moins évoluée, composée en majorité de "serpentynes" de fer. Encore ne faut-il pas s'appuyer trop fermement sur l'inventaire dont nous disposons qui date de 1496. Il faut, au contraire, espérer qu'une comparaison entre l'artillerie mise au jour et cet inventaire pourra permettre d'illustrer l'évolution de l'artillerie embarquée à bord des navires anglais entre 1496 et 1512.

Dans le domaine de l'armement léger, à l'arbalète française s'oppose le fameux "longbow" dont nombre d'exemplaires ont été retrouvés sur l'épave de la Mary Rose et qui sont illustrés dans les gravures du fameux Warwick Roll. Mais sans doute aussi faut-il s'attendre à découvrir nombre de points communs dont témoigne, pour ce qui concerne le gréement, un premier examen de l'inventaire du Regent, où l'on trouve des expressions comme : "Breton tackles" ou "Brestes ropes".