Les naufrages II

Aperçu historique concernant le naufrage du vaisseau espagnol San Jose et de la frégate Santa Rosa


La présence de bâtiments espagnols à Brest, s'inscrit dans le cours de la guerre d'Indépendance qui fait rage sur le continent nord-américain. La France, alliée à l'Espagne, soutient les " Insurgents " et est en guerre avec l'Angleterre. L'insurrection armée de 13 colonies confédérées d'Amérique avait abouti le 4 juillet 1776 à leur déclaration d'indépendance. La France signe alors le 6 février 1778 un traité d'amitié avec les Etats-Unis d'Amérique qui est le signal des hostilités avec l'Angleterre.

Documents manuscrits

Lettre de M. d'Hector, Commandant de la Marine à Brest au Ministre, M de Sartine.

"Brest, le 21 janvier 1780,
Le V.au Snt Joseph, commandé par M. Ozorno, chef d'escadre espagnol à relaché hier matin dans la rade. Il ne me fut rendu aucun compte de sa manœuvre, ni de la raison qui l'avait engagé à relacher. Voulant aujourd'hui vous mander quelque chose qui vous ait mis à même de juger de ce qu'on peut penser de l'escadre de M.de Gaston dont il faisait partie, j'ai envoyé un officier-major à son bord et vous trouverez ci-joint Monseigneur, les détails de ce qu'il a pu apprendre.
Il y eu hier matin signal de 5 bâtiments qui peu après furent convertis en un moindre nombre. Les vent passèrent alors au nord est bon frais où ils sont encore. Il n'y a point eu aujourd'hui de signaux de bâtiments de guerre, si comme on l'a pensé hier, les premiers signaux faits regardaient les vaisseaux de l'escadre de M. de Gaston, il ne serait point étonnant que les vents qui règnent leurs eussent fait prendre parti de suivre leur premiere mission, quand même ils eussent eu besoin de secours, les vents actuels auraient pu leur faire penser qu'il leur était plus facile de les prendre à La Corogne qu'à Brest.
Cette conjecture m'est indiquée par le silence qu'ont gardé aujourd'hui nos signaux, ne paraissant point naturel que ces vaisseaux eussent assez perdu dans la nuit pour n'être pas signalés aujourd'hui. Il est de plus entré cet après-midi deux hourques espagnoles qui faisaient partie du convoi de La Corogne. Je n'ai pu envoyer à bord que d'une, l'autre étant mouillé trop loin. Vous trouverez ci-joint la déposition que l'officier major que j'y ai envoyé m'a raporté. Le V.au St Joseph va sans doute passer du temps à réparer. L'escadre de M. de Guichen, qui au Conquérant près, est toute en rade, ne tardera pas à partir. Le besoin qu'on a des équipages des V.aux La Bretagne, le Ville de Paris, --, le Neptune et le Jazon oblige qu'on les rentre avec la plus grande célérité, aussi la Ville de Paris rentrera t'elle demain. Les autres peu après, successivement feront la même manoeuvre. Aucun vaisseau actuellement dans le port ne peut de longtemps retourner en rade, et je prévois que l'escadre d'Amérique partie, M. Ozorno se trouverait commandant de la Rade. Comme l'opération actuelle n'est qu'un réarmement et non une fin de campagne, mandez moi je vous prie Monseigneur la conduite que je dois tenir après le départ de M. de Guichen. Laisserai-je un vaisseau des 5 dénommés ci-dessus dépositaire du pavillon de commandement jusqu'à ce qu'un autre ait été le relever en rade, ou le passera t'on sur une frégate, ou définitivement M. Ozorno, restera t'il le pavillon supérieur."
(Signé) d'Hector.


Lettres de M. Laporte, Intendant Général du Port de Brest au Ministre, M de Sartine.

1 - AN Marine B³ 679, f° 171 (Ponant)
Brest, le 10 avril 1780

Monseigneur,

J'ai l'honneur de vous rendre compte que je venois de recevoir avis qu'il s'était perdu ce jour là, à dix heures du matin, entre Bertheaume et Saint-Mathieu, un vaisseau et une corvette espagnoles. Ce sont le Saint Joseph de 70 canons, commandé par M Ossorio chef d'escadre et de la Sª Rosa. M. Le Large, capitaine de Port, partit la nuit suivante avec le Sr Leroi, ingénieur constructeur et un bon (f°171 v°) maître d'équipage pour voir s'il était possible de relever ces deux batimens. Hier matin cet officier a eu quelqu'espoir pour le vaisseau, mais il a depuis reconnu que l'on ne devoit point s'en flatter. Le batiment s'est couché et la mer est si rude dans cet endroit que les chaloupes ne peuvent s'approcher du vaisseau sans courir les risques de se briser. Tout le monde heureusement s'est sauvé dans ce nauffrage à l'exception d'un nègre qui estoit resté dans le vaisseau, vraisemblablement pour voler et qu'ayant voulu ensuite se sauver à la nage s'est noyé. M. Hector dès vendredi au soir avoit envoyé des chaloupes avec des cables et des ancres. Samedi matin ce commandant a fait partir trois autres chaloupes, il a fait en même temps appareiller la corvette le David commandée par M d'Ambiveau qui ayans des (f°172) vivres à bord pouvait être d'un grand secours aux nauffragés. Dès le vendredi j'avais écrit au Syndic des classes du Conquet de faire rassembler tous les vivres que l'on pouvait trouver dans le quartier. Samedi matin j'y ai envoyé M Najac, commissaire qui a fait pourvoir à la subsistance de tous les espagnols j'avais en même tems envoyé une voiture pour amener M Ossorio, qui est revenu avec M de Najac. Ce commissaire est convenu avec le Prieur de l'abbaye Bénédictine de St-Mathieu de fournir des vivres à tous les espagnols et que je lui feroit rembourser la dépense. Voici ce que j'ai appris des circonstances du naufrage. M Ossorio avait appareillé le jeudi. Trois hourques espagnoles s'étant laissé dériver sur l'île Longue (f° 172 v°) ne purent sortir de la rade. M Ossorio pour les attendre mouilla le soir à l'entrée de l'Iroise. Dans la nuit les vents passèrent au Sud avec violence. Le vaisseau et la frégate chassèrent. Le Général espagnol voulut appareiller à huit heure du matin et profiter d'un instant ou l'ouragan avait un peu calmé, son petit hunier et son artimon furent emportés. Le vaisseau ne put venir dans le vent. Il mouilla alors toutes ses ancres, elles ne prirent point. Voyant une impossibilité absolue d'empêcher le vaisseau d'aller à la côte M Ossorio dirigea ce batimens pour échouer debout à terre, ce a quoi il est parvenu très heureusement. S'il eut touché par le travers, il eut vraisemblablement été brisé en peu d'instants et tout l'équipage se seroit noyé.
La frégate La Notre Dame du Mont Carmel à couru (f°173) les plus grands dangers, son ancre a heureusement tenu et elle est entré en rade dans la nuit de vendredi à samedi. M Ossorio me paraît décidé a repartir sur les deux frégates et les flutes du convoi, les équipages des deux batimens naufragés, a arborer son pavillon sur une des deux frégates et à suivre sa première destination pour le Ferrol. Il a du demander à M Duchaffault une frégate pour renforcer son convoi. Les Bénédictins de l'abbaye de Saint Mathieu se sont portés avec le plus grand zèle à secourir les espagnols. Non seulement ils ont logé et nourri dans leur maison les officiers, ils ont encore dans le premier moment fait pourvoir à la subsistance des 7 à 800 naufragés. Ce n'est pas la première occasion dans laquelle ces religieux ont prouvé leur charité (f° 173 v°) et l'utilité de leur maison dans cette partie de la côte. Les naufrages qui y arrivent de tems en tems leur sont très onéreux et la maison est pauvre. J'ai l'honneur de vous présenter, Monseigneur, qu'il me paroit de la justice et de la bonté du Roi de leur donner des marques de sa satisfaction. J'ignore ce qui pourroit leur convenir, mais il n'est pas possible que la maison n'ait pas quelques besoins dans lesquels elle pourrait être aidée du Port sans qu'il en résultat une dépense très grande pour le Roi. Je pourrai, si vous l'approuvez m'en éclaircir ; mais vous jugerez peut-être en attendant pouvoir écrire au Prieur de l'Abbaye une lettre qui l'assure de la satisfaction du Roi des services que les Religieux rendent toutes les fois qu'ils ont une occasion de prouver leur charité pour les malheureux et leur zèle pour le service du Roi.
Je suis avec respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
(signé) Laporte.

2 - AN Marine B³ 679 - f° 175
A Brest, le 12 avril 1780

Monseigneur,
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(f° 175 v°)
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Il y a eu chez le Général d'Ossorio, une espèce de Conseil relativement au Vau le Saint Joseph et aux moyens que l'on peut mettre en usage pour sauver soit la coque entière du batiment soit les agrès, l'artillerie et les principaux effets. M Le Large, capne du Port et M Leroi y ont été appelés (f° 176) ainsi que M Groignard. Il a été décidé qu'on ne pourroit se déterminer que sur les lieux ; En conséquence, ces officiers s'y sont rendus ce matin avec le capitaine de pavillon de M Ossorio et le Consul d'Espagne. il eut été possible de sauver la coque du Vau le lendemain et le surlendemain de l'échouement, cela paroit impraticable aujourd'hui que le batiment est entièrement couché et crevé. Mais je suis persuadé, en même tems, que l'on pourra retirer la plus grande partie des canons et des agrès. Quant à la corvette Sta Rosa elle est entièrement couverte à haute mer et elle doit être déjà en partie dépecée par la lame.
…………
(signé) Laporte

3 - AN Marine B 679 - f°180.
Brest, le 14 avril 1780

Monseigneur,
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(f° 181 v°)
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Ce matin les deux frégates espagnoles et toutes les flutes de cette nation ont également mis a la voile accompagnées de la frégate La Concorde. M Ossorio qui est embarqué sur la frégate Leocadia a demandé à M Duchaffault et a M Hector de faire escorter le convoi espagnol par une forte frégate.
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(f° 183 v°)
M Le Large, M Groignard et M Guignace sont revenus hier de Saint Mathieu. Ils ont trouvé les deux bâtiments espagnols absolument hors d'état d'être relevés. Il est seulement possible d'en sauver l'artillerie, la mature, le gréement et beaucoup d'effets. mais il en couteroit beaucoup pour y faire travailler par des gens à la journée, et d'ailleurs il faudrait que le Port fournisse des secours de toute espèce ce qui serait fort onéreux au service. Je ne vois rien de mieux que ce qui a été proposé par M Groignard, c'est de promettre à ceux qui voudrons travailler au sauvetage de tous les effets de ce vaisseau de les racheter à un prix convenu. Il a été en conséquence dressé par ces trois officiers un procès verbal que M Hector doit avoir l'honneur de vous envoyer.

(signé) Laporte

4 - AN Marine B³ 679 - f° 200
Brest, le 21 avril 1780

La frégate la Concorde qui avait accompagné le convoi espagnol est rentrée aujourd'hui à midi dans la rade.

5 - AN Marine B³ 679 - f°217
Brest, le 21 avril 1780 - f° 217

Monseigneur,

J'ai l'honneur de vous rendre compte de la position critique dans laquelle se trouve le vaisseau Saint Joseph. M Groignard à son retour de St Mathieu avant hier nous dit qu'en se pressant et s'il ne fait pas trop mauvais temps on pourroit sauver l'Artillerie, la plus grande partie du gréement et même de la coque du vaisseau. Il donna en même temps un état des secours du Port dont il pourroit avoir (f° 27 v°) besoin et qui consistoient qu'en un chaland, une chaloupe, un radeau et en hommes consistant en un Maître d'équipage, un maître canonnier et douze bons matelots. Il davoit partir demain avec ces gens et ces secours, mais ses projets sont déconcertés. Il a fait la nuit dernière un coup de vent très fort. Le vaisseau s'est rompu en deux partie et si la nuit prochaine est aussi mauvaise, il sera bientôt dépecé par la mer Cependant M Groignard s'y rendra toujours demain matin. Cet ingénieur nous avait prévenu que ce vaisseau s'affaissait et qu'a chaque coup de mer on entendait les bois se rompre, il était très instant de le soulager de son Artillerie (f° 218) Je juge qu'aujourd'hui, il ne sera plus possible de sauver rien d'intéressant que les canons au moins en partie.

(Signé) Laporte.


Sources imprimées espagnoles (recherches A. de Laroche) :

Le San Jose, vaisseau de 74 canons a été construit dans l'arsenal de la Havane (Cuba) entre 1769 et 1770 (Merino, 1981).
En 1775, sous le commandement de D. Manuel Varona, il fait partie de l'escadre de D. Antonio de Arce au cours de l'expedition d'Alger, et de même, en 1776 sous le commandement de D. F. Bances, dans l'escadre du Marquis de Casa-Tilly, il participe à l'expédition du Brésil. Perdu à la sortie de Brest sous le commandement de D. Antonio Ossorio (Oyarzabal - 1942).

La Santa Rosa, frégate de 22 canons a été prise aux anglais en 1767. Participe en 1775 à l'expédition d'Alger, sous le commandement de D. Francisco Melgarejo, dans l'escadre de D. A. Arce. Participe également à l'expédition du Brésil de 1776, sous le commandement de D.J. Castejon, dans l'escadre du Lieutenant Général Marquis de Casa Tilly. En 1779, commandée par D. Luis Varona, elle fait partie de l'escadre du Lieutenant Général D.L. de Cordoba puis de l'escadre combinée avec l'escadre française, commandée par d'Orvilliers (Oyarzabal - 1942). Coule à Brest sous les ordres du Lieutenant de Vaisseau Juan Perez Monte.(Vargas Ponce).

Vargas Ponce, Doc. 52 (f° 52) :
Lettre de Antinio Valdes à Francisco de Bances, datée d'Aranjuez, le 3 mai 1783. 
Donnant l'ordre que toujours, lorsque des navires de la Marine de Guerre ont été perdus par suite de combats ou de naufrages, il n'en soit tenu aucune rigueur à leurs commandants quand leur conduite a été approuvée en Conseil de Guerre : ordre donné en raison de la sollicitude marquée pour les commandants des vaisseaux Fenix, Diligente, San Julian, Princesa, San Eugenio, et Monarca, qui perdirent leur (rancho) au cours du combat contre l'escadre anglaise de l'Amiral Rodney, et de (la instancia) du Lieutenant de Vaisseau Juan Pérez Monte, dont la frégate Santa Rosa fut naufragée à Brest.


Jose P. Merino Navarro, La armada espanola en el siglo XVIII, Madrid, 1981, p.364, note 47
Coleccion Vargas Ponce - Museo Naval de Madrid - Tomo 38 - Doc. 52
Oyarzabal - Lista de buques - 1942

Les recherches ont été effectuées à Brest par Fanch Cabioch, à Paris par Max Guérout et à Séville par Arnaud de Laroche.