Le carnet de la mission 2013 [ordre chronologique inversé]


2 octobre 2013
Le naufrage de l'Utile reconstitué dans le DVD. Les esclaves oubliés de l'île TromelinL'emballage du mobilier archéologique



Le mercredi est le jour des croissants. Mis au four par Jean-Michel au petit matin, l’alizé porte leur parfum jusqu’à la case malgache et aux trois tentes, incitant les dormeurs à se mettre sur pied.

Aujourd’hui pourtant le réveil est paisible, car ce n’est pas vers pelles et pioches que chacun va se diriger, mais plutôt vers des tâches de classement, d’enregistrement et de rangement, de mise en forme aussi des résultats, en prévision de la conférence de presse de samedi prochain.

Lauren filme une dernière fois les objets avant qu’ils ne disparaissent dans les caisses d’emballage et fait ses dernières interviews.

Chacun se rend compte que le travail quotidien a laissé moins de place que prévu au vagabondage dans l’île, d’autant que les deux derniers dimanches, très pluvieux, n’ont pas incité à la promenade. Chacun fait le plein d’images, respire l’alizé à pleins poumons, remplit sa mémoire auditive du bruit du vent et de la mer, exercice particulièrement salutaire aujourd’hui car une houle puissante déferle sur le rivage. 

Thomas met la dernière touche à la topographie des lieux et, malgré l’état de la mer, envoie Jean-François poser la mire du théodolite sur les canons de l’Utile qui se trouvent près du rivage.

Mais comme la marée est haute, Jean-François en est quitte pour un bon bain.

Ces canons sont arrivés là avec la partie avant du navire qui s’est détachée du reste de la coque lors du naufrage de l’Utile.

Assis sous les branches d’un grand veloutier que nous avons connu resplendissant au cours des campagnes précédentes, mais qui aujourd’hui ne dresse plus que des branches mortes engluées de guano, je décris devant la camera de Lauren les dernières heures de l’Utile. Ces moments tragiques relatés par Hilarion de K’audic, l’écrivain du bord, et dont nous avons retrouvé la trace au fond de la mer, malgré le désordre indescriptible qui résulte d’un naufrage.

Nous pensons aussi aux esclaves malgaches prisonniers de la cale dont les panneaux ont été cloués par crainte d’une révolte. Ils ne peuvent en sortir que lorsque la coque se disloque, alors qu’autour d’eux tout s’effondre. Les voici dans la nuit, eux gens des hautes terres qui n’ont jamais vu l’océan, au milieu du tumulte de la mer qui déferle, des mouvements désordonnés du navire, du hurlement du vent. On imagine l’effroi qui les saisit alors.

Près de soixante-dix d’entre eux y perdrons la vie.

Max Guérout