Le carnet de la mission 2013 [ordre chronologique inversé]


22 septembre 2013
Panoplie du parfait fouilleur tromelinoisA la truelle ou bien dans un verre rien ne saura lui résisterRemuer le sable tel est notre crédo


Le repos dominical vient de sonner. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la table dressée pour les agapes du petit-déjeuner. D’ordinaire, la concentration d’individus prompts à cet exercice enregistre un pic vers 6h15, soit en phase avec les premiers rayons du soleil à cette époque de l’année.

Le dimanche, c’est différent. La cohorte de candidats au plaisir d’une dégustation de pain rassis s’échelonne dans le temps. Pour certains, le ciel est déjà largement illuminé lorsqu’ils se dirigent d’un pas mal assuré vers un bol qu’ils saisissent avec maladresse.

« Dimanche » est pour l’équipe de fouille un mot magique. Il est synonyme d’oubli, d’abandon, de liberté. On oublie la tranchée et son carré de fouille, on abandonne seaux et balayettes, on s’adonne à l’absence de réflexion, les neurones flottent dans le néant. Chacun fait relâche et vaque éventuellement à de saines occupations : lecture, sieste, ballade… Si si, même sur Tromelin c’est possible, il en est même un qui court alors que le soleil brille encore, décidément il n’y a pas que des fous à plumes sur cette île !

En ce jour, fini donc les petits seaux et passoires à sable, aïe aïe !! Le mot est lâché. Ces satanés grains, beaucoup plus durs sous la dent que leurs homonymes du rougaille-saucisses,  s’invitent dans vos chaussures, s’immiscent sous vos vêtements. On les retrouve à la douche, sur le tapis de sol des tentes, dans le duvet et même dans les oreilles, n’est-ce pas Philippe ?
Ils nous envahissent et parfois nous submergent. Il m’a été confié qu’Ils obsèdent même certains esprits la nuit.  Ce sable à la fois adulé et détesté, chéri et haï, rythme notre chantier.
Que ce soit à l’aide d’un dé à coudre ou au moyen d’une moto-pelle, il faut sans cesse le remuer, le transporter, et bien sûr le redéplacer car il a été stocké hier à un endroit où l’on ne songeait  pas creuser aujourd’hui.
De nouveaux indices sont venus en effet perturber l’ordre établi et le chef de chantier a réorienté les priorités. Ainsi pelles, seaux ou brouettes, tout est réquisitionné et mobilisé pour soustraire l’intrus.

De godets en récipients, ce sont des mètres cubes qui transitent entre nos mains, mais à sa décharge, il faut souligner sa nécessaire présence. Il est en effet le garant d’un pan d’histoire, et quelle histoire. Couche après couche, tempête après tempête, il a drapé cette partie de l’île, mis sous cocon ces précaires abris témoins d’une incroyable aventure, scellé et protégé ce site pour plus de deux siècles.

Nous ne pouvons donc que lui rendre hommage et être reconnaissants.
Sans lui, pas d’opération archéologique, pas de riches rencontres au sein de l’équipe, pas de journal quotidien, et surtout pas de découverte mettant en lumière l’épopée de ces malheureux esclaves. Non seulement victimes d’un abandon sur un lopin de corail désert, ils seraient également restés ignorés.

Les seaux de sable seront dorénavant moins lourds !!

Joë Guesnon