Bienvenue,
Invité
|
Section destinées aux échanges entre les élèves, l'encadrement scolaire et les membres de l'équipe présente sur Tromelin.
SUJET : Tromelin, un texte magnifique de Sara (Cm2)
Tromelin, un texte magnifique de Sara (Cm2) 02 Déc 2015 14:28 #14543
|
Michel Charpy enseignant à Mesves sur Loire, nous a envoyé le 28 novembre dernier le message suivant :
"Bonjour M.Guérout dans le cadre de mon projet d'école 2015/2016, j'ai présenté à mes élèves de cm1/cm2 le documentaire tourné lors des fouilles à l'île de Tromelin. Je leur avais demandé de prendre des notes et de me rédiger un texte relatant le naufrage ou l'aspect archéologique. J'ai eu la surprise d'obtenir le texte ci-joint, il a été rédigé en classe et mes conseils relatifs à l'orthographe et au vocabulaire ne l'ont pas modifié énormément. J'ai constaté par la suite que cette élève de cm2 avait choisi de raconter le naufrage vécu par une adolescente, exactement comme dans l'album réalisé par Sylvain Savoia. Je souhaitais vous communiquer ce texte qui était au départ un manuscrit de neuf pages 21/29.7. En trente ans d'exercice, j'avoue avoir rarement eu le plaisir de me voir remettre un travail de cette qualité. Recevez toutes mes sincères salutations, les esclaves oubliés sur cette île ne se doutaient certainement pas que leur mémoire serait célébrée par le travail d'une équipe aussi passionnée. Mesves sur Loire. Voici le texte rédigé par Sara : "Les esclaves oubliés de l'île Tromelin. Nous sommes en juillet 1761. Je m'apprête à monter à bord de l'Utile. Bonjour, je m'appelle Léopoldine et je deviens une esclave. J'ai quinze ans et je suis malgache. Je vais vous raconter mon histoire. Nous partons à bord de l'Utile, un très grand bateau. Je vais bientôt quitter Madagascar pour aller en île de France ( l'île Maurice ) et je vais devoir travailler sans être payée. A présent, je ne vivrai plus comme avant, je ne serai plus libre. C'est avec grand peine que je monte à bord de ce bateau imposant, que je suis entourée de visages inconnus. Je ne reverrai plus jamais mes amis et je serai sans doute maltraitée par ces blancs. Non, vraiment c'est trop dur pour moi d'être enchaînée, de recevoir toutes ces injures, comme un vulgaire animal que l'on croit dangereux mais qui veut juste la liberté... Lorsque nous sommes dans le bateau, on nous dit d'aller dans la cale. Je vais être enfermée avec toutes ces autres personnes égales à moi. Elles rêvent toutes de liberté et d'un foyer rien qu'à elles. Déjà l'Utile appareille. Je pense à tous ces bons moments passés à jouer, à m'amuser,à plaisanter. Au dessus de moi, j'entends les pas des marins, les ordres du capitaine, les paroles de tous ces blancs que je maudis tant. Plusieurs jours s'écoulent et toujours le même chagrin en moi, la même douleur de quitter mon pays natal, la haine de ces blancs qui nous font tant de mal. Puis, une nuit où je me crois seule à être éveillée, des bruits de pas résonnent au dessus de ma tête. J'entends deux voix, deux voix d'hommes. L'une d'entre-elles dit : -'' En êtes vous vraiment sûr? Vous savez très bien que c'est dangereux de naviguer de nuit. '' -'' Oui, j'en suis conscient mais j'ai trente ans d’expérience derrière moi, je ferai attention et plus vite nous arriverons, plus vite nous livrerons ces nègres !'' -'' Capitaine, maintenir le cap de nuit peut aboutir à notre perte !'' -'' Je sais, je sais mais tu n'es que le co-pilote, je me trompe ? '' -'' Non capitaine, mais... -'' Alors, c'est toujours moi qui décide, donc nous continuerons de naviguer.'' Nous allions donc arriver plus tôt, connaître plus tôt nos nouveaux maîtres et être maltraités plus tôt. Cette dernière pensée m'horrifia. Une voix me sortit de mes réflexions : -'' Toi aussi, tu as entendu? On va arriver plus tôt !'' Je me retournai et vis une fille de mon âge. Je lui dis : -'' Oui, malheureusement...'' -'' J’espère ne pas tomber sur quelqu'un qui me maltraitera.'' -'' Là, c'est peu probable. Ils sont tous pareils : méchants et égoïstes !'' Elle m'a regardée et a dit : -'' Enchantée, moi c'est Joséphine et j'ai quinze ans !'' -'' Moi c'est Léopoldine et j'ai aussi quinze ans !'' Nous avons un peu bavardé puis nous sommes allées nous coucher. Je ne sais pas depuis combien de temps nous dormions quand, tout à coup, nous avons heurté quelque chose. Cela a réveillé toute la cale. Les autres ont commencé à se poser des questions mutuellement. Tout à coup, un marin a crié : -'' On coule, on coule !!!!'' Je l'ai entendu comme s'il était collé à mes oreilles. J'ai cherché du regard Joséphine, ma nouvelle amie. Je l'ai vue qui essayait de me rejoindre. Elle n'y parvint pas. Quelques minutes plus tard, elle arriva par derrière et me dit : -'' On coule ! Viens avec moi, on va essayer d'ouvrir les panneaux avec mes amis !!'' Nous les avons atteints et nous avons tout essayé, en vain. -'' Ça ne marche pas !'' dit Fatou, une fille de quatorze ans que Joséphine avait rencontrée au début de notre voyage à bord de l'Utile. Tous mes nouveaux amis et moi commencions à pleurer, mais, tout à coup, je pense: Mais, l'eau disloque le bois ?! Alors nous avons une chance de nous en sortir ! Je dis ça à mes amis. Ils retrouvèrent le sourire. -'' Espérons que tu dises vrai !'' soupira Mamadou. Voilà un petit récapitulatif : je m'attends à tomber sur un maître ignoble ( donc je veux mourir ), je me fais une nouvelle amie que je vais sans doute perdre à cause du capitaine pressé de nous livrer et de gagner de l'argent. Bref, ma vie n'est pas géniale. Mais parfois, j'ai de la chance. Alors ma théorie est bonne ! La coque se disloque. Les marins, les autres esclaves, mes amis et moi essayons de nager jusqu’à une île, car, par chance (généralement, je n'ai pas de chance ) le bateau s'est échoué sur des récifs de corail qui entouraient une île. Nous ne l'atteignons pas tous sains et saufs mais mes amis et moi y parvenons. Malheureusement, certains marins et esclaves n'ont pas la même chance. Ils meurent noyés. J'admire ce paysage d'Apocalypse et me dis que, finalement, je suis très chanceuse. A cet instant, je comprends à quel point il faut profiter de sa vie car elle peut nous échapper rien qu'en claquant des doigts. Avec mes amis et quelques autres noirs, j'aide ceux qui sont à bout de force mais qui sont à cent mètres environ de l'île. Je suis très fière de moi car j'ai sauvé des vies ! Quel bonheur de savoir que l'on offre le salut rien qu'en nageant quelques mètres ! Mais nous n'avons pas pu sauver tout le monde. Même si je hais nos geôliers, les gens, quelque soit leur couleur de peau, méritent de vivre. Lorsque tous les survivants sont sur l'île, un silence étrange tombe sur nous. Apparemment, le co-pilote avait raison : naviguer de nuit peut aboutir à notre perte. Les marins ont l'esprit vif : ils se mettent à crier des ordres dans tous les sens pour aller chercher du vin, de l'eau et de la nourriture et bien entendu, ils ordonnent aussi de nous surveiller. Comme si on allait se jeter à l'eau! J'ai vu quelqu'un qui ramenait le livre de bord. J'ai entendu le capitaine lire ce qu'il écrivait : 1h00 du matin, le 31 juillet 1761, l'Utile percute des récifs de corail qui entourent l'île de Sable...Ainsi, il écrivit un véritable roman racontant les détails, les causes et les circonstances du naufrage. QUELQUES SEMAINES PLUS TARD … Les marins ont construit deux camps : un pour les marins et un autre pour ''leurs'' esclaves. Ils disent qu'il faut nous surveiller et nous tenir à distance. Comme dans leurs coutumes, ils construisent nos habitations avec des pierres. Contre notre avis, bien entendu, car nous les réservons pour les tombeaux. Mais je comprends leur choix : l'île n'a que très peu de verdure et donc nous n'aurions pas pu faire nos habitations avec des végétaux, comme le voudrait la tradition. Ces camps, nous les installons au point le plus haut de l'île, c'est à dire à cinq mètres au dessus de la mer pour nous protéger des raz-de-marée et des cyclones, très fréquents sur l'île. Une nuit, je me lève pour aller aux toilettes. J'étais environ à dix mètres du campement des blancs, quand, tout à coup, j'entends un bruit. Vite, je me rhabille ( même si je n'ai qu'un simple pagne en coton ). Normalement, nous n'avons pas le droit de sortir sans surveillance. Je cherche un endroit ou je pourrais me cacher, mais il n'y en a pas. Je m'aplatis au sol, retiens ma respiration. Alors, je distingue une lumière, puis deux marins apparaissent. L'un d'eux tient une torche. Je me tasse un peu plus encore contre le sable toujours chaud à cause du soleil qui vient juste de se coucher. Je les entends discuter : -'' Il n'y aura pas assez de matériel.'' -'' Oui, mais nous leur laisserons de quoi tenir jusqu'à ce que de l'aide arrive.'' -'' Bien, alors c'est décidé : les marins partiront avec le matériel récupéré sur l'Utile et les esclaves resteront ici avec les vivres.'' Mon cœur fit un bond dans ma poitrine : nous allions rester et les blancs partiraient comme des lâches. Ils allaient appeler de l'aide, certes, mais ils ne nous retrouveraient pas, l'île est trop inconnue, trop petite pour qu'ils y parviennent. Dès que la lumière de la torche a disparu, je cours jusqu'à notre ''maison'', m'installe à ma place et essaie de m’endormir. Je n'y parvins que quelques heures plus tard. Le lendemain matin, quand mes amis viennent vers moi pour me raconter leurs rêves et pour que je leur raconte les miens, je les écoute distraitement. Joséphine voit tout de suite que quelque chose ne va pas. Elle me demande de la suivre. Je le fais. Puis elle me dit : -'' Qu’est ce qu'il y a ?'' -'' Rien, rien...'' -'' Si, je vois bien que ça ne va pas.'' Alors, je lui explique tout. Elle fait une drôle de tête quand nous revenons voir nos amis. Ils nous demandent ce qui se passe. Joséphine me demande : -'' Je peux leur dire ?'' J'accepte. QUELQUES JOURS PLUS TARD... Notre menu est essentiellement composé de sternes noirs mais aussi de poissons, de fruits de mer, d'oiseaux, de tortues... Bien entendu, l'eau potable commence à manquer, mais à force d' arpenter l'île, les marins ont fini par creuser un puits et le problème est ainsi résolu. Les marins ont exposé leur plan de quitter l'île sans nous mais d'aller chercher de l'aide. Le lendemain, ils préparent les vivres qu'ils vont emporter et les vivres qu’il vont nous laisser. Lorsqu'ils partent, un silence étrange pèse sur l'île. Ils nous ont bien promis de nous envoyer du secours, mais je pense qu'ils sont trop fiers pour avouer la bêtise qu'ils ont faite et vont dire que des pirates les ont attaqués et qu'ils nous ont pris en otages. Les blancs sont partis, nous sommes seuls sur l'île. Des années passent, des esclaves meurent, d'autres tombent malades et finissent de toute façon par mourir. Et toujours rien, toujours aucun bateau en vue. Nous sommes une vingtaine à présent et j'ai vingt-neuf ans. Beaucoup de mes amis sont morts et les autres sont à bout de forces. Puis, une mauvaise nouvelle tombe : Joséphine est enceinte. Je suis heureuse pour elle mais comment va-t-elle accoucher ? Là est la question. Une nuit, elle me réveille brutalement. Le bébé arrive ! Vite, nous mettons tout en place pour qu'elle soit le plus à l'aise possible. Tout se passe bien et elle a un petit garçon ! Ouf, toute mon angoisse retombe. Quelques heures plus tard, alors qu'elle allaite Moïse ( car c'est le nom de son fils ) un bateau apparaît à l'horizon. Même si nous sommes tous épuisés, nous trouvons l'énergie pour agiter les bras. Le bateau voit que l'île est habitée, alors il s'approche et envoie un canot avec deux marins dedans. Le canot chavire à cause du corail. L'un des marins arrive à nous rejoindre. Le bateau, obligé de partir à cause du corail, disparaît. Le marin entreprend de construire un radeau. Quelques jours plus tard, il convainc trois hommes et trois femmes de venir avec lui. Je pense qu'ils sont morts en mer à naviguer au hasard. Huit mois plus tard, la délivrance arrive enfin. Ce coup-ci, le bateau arrive à nous envoyer un canot sans qu'il ne coule. Lorsque nous montons à bord du bateau du chevalier Tromelin ( qui donnera son nom à l'île ) nous sommes sept femmes qui entourons Moïse, âgé à présent de huit mois. Je ne suis plus une esclave. Quand nous arrivons en île de France, je suis mise au service d'un comte mais je ne suis pas maltraitée et je suis payée. Je m'appelle Léopoldine, j'ai trente ans et je suis libre. Max Guérout a fait revivre l'histoire des esclaves oubliés de l'île Tromelin. Cette histoire triste, cette histoire étonnante, cette histoire émouvante, cette histoire passionnante, cette histoire de liberté." |
L'administrateur a désactivé l'accès en écriture pour le public.
|